PetiDej de soleil à la lueur des bougies
14 mars 2024, La scène aux artistes, Le Relais Bleu, Palette en Provence
C’est un café-restaurant créé au pied de la Sainte-Victoire en 1950 sur la Nationale 7, sur cette route des vacances vantée par Charles Trenet. Il est resté dans la famille et tenu par le petit-fils de son créateur, qui y fait une cuisine provençale familiale qui change au gré du marché, dans une ambiance conviviale (et aussi d’excellentes pizzas au feu de bois).
On y donne des soirées musicales, soirées contes, des lotos… et depuis un an environ, Richard Masdau y organise les deuxièmes jeudis du mois La scène aux artistes, une soirée dédiée à la chanson française. Le décor : un bar, un vestibule, une grange vintage remplis de meubles de brocante, vaisselle, bouteilles, objets insolites, tableaux, miroirs, affiches, cartes anciennes, panneaux publicitaires métalliques (remarqué Aznavour et Roche), bougeoirs et candélabres d’où s’écoulent maints stalactites de cire (quel budget de bougies !) et suspensions bricolées (par exemple, une théière dont le fond évidé laisse passer la lumière), jouets, babyfoot, peluches, plantes vertes… Il faudrait bien plus d’une journée pour en faire l’inventaire. L’inconvénient : une scène petite et bricolée (prévoir des artistes pouvant s’adapter techniquement à des conditions quelquefois hasardeuses) et encombrée d’objets, ce qui limite les éventuels jeux de scène, même si elle constitue en elle-même un décor baroque accueillant sous son grand parasol bleu. La soirée s’organise en repas, scène ouverte – cette fois-ci, un poète, une chanteuse réaliste qui a fait reprendre Padam, padam, à toute l’assistance, et a cappella Corinne Reynaud, une passionnée de chanson qui a repris avec émotion Saturne de Brassens et Ton absence d’Yves Duteil – et, enfin, le concert vers 21 heures. Comme ce fut un vrai spectacle d’une heure et demie, suivi d’une tombola pour les artistes, nous sommes sortis de cette soirée repus et ravis, un instant dans un ailleurs convivial, un peu hors du temps et pourtant grâce aux thèmes abordés, en direct avec l’actualité.
Le répertoire du duo, nous l’avons déjà évoqué comme des ballades légères, profondes ou cocasses, en fines tranches de vie. Michel Ycardent vient du rock, il est à l’origine de spectacles sur Boris Vian, Serge Gainsbourg, Gilbert Bécaud dont il a l’énergie débordante, compositeur, il utilise guitare acoustique et électrique. Auteur inventif, il sait trouver des expressions « impressionnistes », des néologismes, des jeux de mots sonores et évocateurs.
Odile Husson est pianiste classique, puis jazz, venue ensuite à la chanson, elle fait les arrangements au piano et tempère son compagnon avec une grâce et un humour pétillants. Elle manie aussi le mélodica, cet instrument trop souvent oublié qui réunit instrument à vent au clavier pour en tirer des atmosphères magiques, allant de l’harmonica à l’accordéon et presque à l’orgue. Un piano à tube plutôt qu’à bretelles, qui fera merveille sur une des chansons les plus marquantes de la soirée, Comptoir del mar.
Alternance de chansons jazz-rock, et de ballades douces et mélancoliques où le piano (ici numérique) joue le rôle principal. Instant de grâce avec ce Je me sens bien, et ses mots qui correspondent si bien au décor : « Des livres ici et là / Comme pour un inventaire / Et des airs Wap dou Wap / Sur mon piano ouvert ». Une chanson née en 2010 par un beau soir d’été quand tout s’accorde pour en faire un moment parfait, « Ça doit s’appeler le bonheur / Ou un état d’apesanteur », été alangui, maison de désordre et humeur aérienne, émotion funambule.
Une moitié de l’album de 2010, avec ce Pas méchants qui leur sert de présentation, chantée en duo alternée « On est bêtes / Mais pas méchants / Notre tête / Qui a tout l’temps / Prend la clef des champs », cette Aquarelle, une des plus belles chansons d’amour où Odile Husson rejoint Ycardent sur le refrain. Vraiment une des plus délicates, dont il faudrait citer tous les vers « Et qu’un tamis de soleil / Tôt levé s’en vienne / Habiller tes hanches nues / De pointillés de lumière ». Et puis, à pleurer, cette Malika africaine qui rêve en contemplant l’horizon de son pays d’origine, et du jour où un bateau ramena chez lui le corps de son père. Des plus acérées aussi, sur mélodica rageur, comme Qui qui sait (qui a fait quoi) qui évoque avec une colère joyeuse et communicative (refrain incanté par l’ensemble du public en apothéose-catastrophe) tous nos sujets d’indignation : glaciers qui fondent, pétroliers vidangeurs ou continents de plastique. Quand Odile dans sa salle de bain s’imagine parlant à son Miroir « Quand vraiment tu me les brises / Je m’vois te pulvérisant / En mille éclats de banquise », c’est toute l’angoisse existentielle du temps qui passe qui se cache sous l’humour apparent, et pleure sous le piano et la guitare dissonants.
Il y aura même une des premières chansons d’amour, datant du tout premier album enregistré en une prise, Drôle d’ambiance : « J’aime son cou (…) Elle a le regard rimmel (…) D’elle j’aime tout ».
Tout autant de l’album de 2022, avec Gribouille graffitis qui donne son nom au spectacle, Une idée derrière la tête ou Île sous le vent, « Comme un bateau / L’étrave ourlée de blanc / Posé sur l’eau… », hymne à cette île du Levant où tout est lent et qui en rappelle de bien plus lointaines.
Et puis des nouvelles, ou à tout le moins inédites, une jolie ritournelle qu’incarne Odile, sur une tête en l’air, « Je cherche (…) pourquoi perds-je tout / Trou lala itou » qui cache peut-être une inquiétude plus profonde, ou deux petites chansons aussi ironiques que désabusées, qui reçoivent un grand assentiment du public et ses lalalas : à nos représentants, « On nous prend vraiment pour des con-centrés de thon » pour de grandes indignations « Il a déclaré qu’il n’y avait rien à changer » tant qu’il n’y a plus qu’à lâcher prise… « J’fais du yoga sur la banquise ». Rappelés par de vigoureux applaudissements, ils finiront par une virtuose reprise a cappella de Boby Lapointe, en canon et en variations subtiles, ça commence comme ça : « Le papa du papa du papa de mon papa / Était un petit piou-piou / La maman du papa du papa de mon papa / Elle, elle était nounou » Surréaliste et délicieuse friandise, Noyau Depêche sur le gâteau… (1)
En long, en large et en profondeur.
Après un premier album de 8 titres, Drôle d’ambiance, enregistré en une prise, ou déjà apparaissent chansons d’amour, gardées au répertoire comme Regard Rimmel et Aquarelle, chansons d’humeur et chansons d’humour, mais aussi abord de sujets graves comme le suicide, sous la dénomination Petit Déj and Co (leurs musiciens partenaires d’enregistrement, contrebasse et accordéon), le duo rebaptisé PetiDéj (en un mot) a enregistré Pas méchants en 2010, que nous vous avons évoqué lors de leur rencontre en 2019 à Avignon, un album très équilibré entre poésie, sensualité et engagements.
Leur dernier album a été réalisé avec le même soin en 2022. Belle pochette cartonnée et livret soigné des paroles, quatorze titres bien écrits « qui se martèlent ou se murmurent ». Accompagnement de contrebasse, percussions, saxo, flûte, en plus des instruments du duo, dans un jazz rock cuivré, jusqu’aux frontières du free. Textes et musiques de Michel Ycardent, arrangements d’Odile Husson. Là encore se croisent des chansons d’amour douces et sensuelles (L’amour, ça doit être ça ; Lovons nous « On est si proche des anges / Qu’on tutoierait bien les dieux » ; Fleur d’écume « Un soleil voilé a désétoilé / Les voies lactées dans nos yeux » qui se pare de mélancolie avec la fin annoncée d’un amour – ou plus coquines : Une idée derrière la tête « J’ai des vices / Et un verso / Des tennis / Et un saxo », Tantrique et ses fantasmes masculins sur une fille partie, avec ses jeux de mots « explicites » et ses riffs de guitare rock saturée, à laquelle répond, plus doucement, Loin, le fantasme d’une moderne Pénélope où Odile laisse aller sa voix vers une fragilité émouvante, et toujours cette guitare qui dissone agréablement… « Tu es loin / Je rêve et toi ? / Si tu as faim / Dévore-moi ».Enfin, In vino veritas détourne les mots d’une façon surréaliste pour exprimer les aléas de l’amour « J’ai pissé dans un violon je pense / Qu’il faisait trop de canards boiteux… ».Les autres chansons reflètent des souvenirs et des impressions (L’Île sous le vent, et son bar, comme un paradis de nature perdu), des rencontres « Au bout du vieux comptoir / Tu es entrée par hasard / Vers zéro heure un quart… » atmosphère mélancolique de chanson de port et flash souvenir, sur fond de mélodica. Et des agacements et indignations sur notre monde : les fresques sur les murs de Marseille (Je bombe des peurs dans la ville / Et des angoisses des bas-fonds / Des solitudes en queue de file / Et des amours qui font faux bon...) et le piano ponctue : « Et pic / Je tague je tague » ; la chanson titre, fleuve-antiphrase, car elle n’a de bref que le nom dont on affuble « Des identités / Sur le trottoir (…) SDF » ; et la très désespérée, très free jazz Le banquet est fini , en apocalypse now : « Trop joué avec le feu / Et le dire c’est bien peu / Gaïa n’est pas un jeu / Gaïa planète bleue ».
PetiDej, En Bref, 2022
(1)Seul regret, elle n’est pas enregistrée…
Le site de PetiDèj, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
« Aquarelle », live 2022
« Comptoir del mar », live 2023
« Île sous le vent », live en trio 2022
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