Ces spectacles qui vous laissent sans voix
Faire le show en lieu et place des artistes, voici une idée qu’elle est bonne : faut la creuser…
Ça nous est tous arrivé de chanter avec l’artiste en scène, en fin de concert, histoire de prolonger ensemble ce moment de plaisir. Entonner L’Éducation sentimentale avec Le Forestier, gazouiller même un truc inaudible avec Vianney ou Clara Luciani… Il est commun aussi de faire le spectacle avec à la place de Renaud, histoire de l’épargner cause à ce qu’il peut plus chanter : on pourra alors se vanter d’avoir chanté avec lui, même et surtout mieux que lui.
Mais, dans le registre du « toujours plus », on a depuis inventé bien mieux.
Lisez l’argumentaire de cette tournée : « Séquence nostalgie à pleins tubes ! 15 000 choristes répartis sur trente spectacles, les meilleurs solistes français et des musiciens de renom vous plongeront dans l’ambiance des plus belles chansons françaises… Un spectacle unique en France ! De Jean-Jacques Goldman à Jacques Brel, en passant par Renaud, Edith Piaf ou encore Johnny Hallyday, les choristes chaque soir vous présenteront le trésor du paysage musical français (classement IFOP et RTL) ».
« 500 voix pour chanter les plus belles chansons françaises » (ça s’appelle ainsi), avouez que ça a d’la gueule ! Et vous pouvez en être.
Pour la tournée des Zéniths 2025 du spectacle « 500 voix pour les plus belles chansons françaises », on recherche 500 choristes locaux par salle. Ça échoue parfois mais les amateurs, en individuels (c’est eux qu’ils nomment, sans les connaître encore, les « meilleurs choristes ») comme en collectifs, se précipitent. Autant de main d’œuvre gratuite, comme les bénévoles des Jeux Olympiques, pendant que les producteurs s’en mettront plein les fouilles. Main d’œuvre gratos mais mieux encore : chaque voix devra s’acquitter d’une participation de 65 euros* « en échange d’un bon de réduction de la même somme à utiliser par vous ou vos proches pour l’achat de places sur le concert » (à tout hasard, le prix des places est de 35 à 65 selon la catégorie). Ce qui représente, par spectacle, la coquette recette garantie de 32 500 euros, hors le public supplémentaire, hors famille et amis des choristes, qui pourrait être chaque fois nombreux, attirés par la promesse d’un tel nombre de choristes, sans qu’on sache rien du reste du plateau artistique. A priori, il n’y en a pas : hors les trente-cinq techniciens et gens de la production, hors quelques musiciens et une ou deux éventuelles guest-stars, tout le monde est bénévole : c’est vous. Vous êtes le rêve de toute entreprise libérale enfin libérée des salaires et autres contraintes quant aux cotisations sociales ! Un peu comme la main d’œuvre en Corée du Nord ou dans certaines régions de Chine ou de Russie. Sauf que là c’est du pleinement consenti, sans nul code du travail, sans nulle représentation syndicale. La tournée étant de trente représentations, chaque fois avec des choristes volontaires différents, la recette minimale garantie sera de 30 fois 32 500 soit 975 000 euros : le jackpot !
Le même procédé est appliqué à un autre spectacle, en cours, du même producteur : « 500 voix pour Queen ». Et peut l’être ad vitam aeternam, tant que des candidats au « vedettariat » d’un soir, émules de Warhol et de son « quart d’heure de gloire », paieront pour chanter en de tels business lucratifs au seul bénéfice de producteurs pour le moins futés.
* A noter qu’à chaque choriste, « le kit complet d’apprentissage (partitions et fichiers audios) est gratuit » : c’est d’une grande générosité.
https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/haute-vienne/limoges/il-faut-se-coordonner-avec-l-artiste-un-millier-d-eleves-repetent-pour-chanter-avec-le-groupe-de-rock-dionysos-2941059.html
ça rappelle ton show : nombre d’impliqués, nombre de spectateurs acquis, Zénith, etc …mais j’y vois ici le moyen d’intéresser collégiens et lycéens à d’autres formes d’expression que celles qu’ils connaissent . L’absence de jeunes dans nos publics est désespérante.
Il me semble qu’il y a encore d’autres gagnants: ce sont les éditeurs des œuvres qui touchent des droits chaque fois qu’une chanson est jouée. Ces pratiques sont lamentables, ce n’est pas ainsi que le niveau va s’élever. D’autant que la nouvelle législation sur le travail des enfants interdit quasiment d’engager des chœurs ou des maîtrises professionnelles. C’est juste une affaire de gros sous pour quelques uns et des rêves de gloire pour les autres.
C’est le gros show du marché …