Morice Benin, je chanterai après ma mort
Par exception, c’est le titre de ce coffret qui est le titre de notre article. Qui mieux que lui peut l’avoir annoncé, dans cette chanson remontant pourtant à 1988, dans l’album Respirer. La mort, il en a toujours parlé, depuis la provocante On va tous crever (1973), jusqu’à La mort sûre (2014) : « Mais ce qu’elle ne pourra pas tuer, c’est l’empreinte que tu auras laissée », en passant par Quand on enterrera la mort (1985).
Mais bien plus encore, Morice Benin est chantre de la vie, une vie bouillonnante, engagée, aventureuse, ayant choisi son chemin non pas contre le reste du monde, mais avec lui, en parallèle. C’est Michel Kemper qui présente cette sélection avec une évocation du parcours de l’artiste et de l’homme. Parmi la quarantaine d’albums de sa production sur près de cinquante ans de carrière à l’écart des circuits commerciaux, sans compter les œuvres jeunesse et les rééditions, il a dû être difficile à ses enfants de choisir soixante-dix-sept chansons pour un coffret de cinq CD. Ce seront essentiellement ses textes, bien que l’on retrouve dans la sélection quatre titres d’auteurs amis, poèmes ou chansons ; quant aux musiques, seule une demi-douzaine sont composées par d’autres.
C’est que depuis son départ de Casablanca pour Marseille à 18 ans en 1965, parti par ce paquebot le Drakar, pour un séjour de vacances qui se perpétuera, d’abord à Nice, puis à Paris, il s’en est passé du temps ! Repéré par Jacques Demarny, il fait une courte expérience dans le chaud bizness avant que ne le rattrape sa vraie nature et l’air du temps : ce sera l’heure de la chanson artisanale, libertaire, provocante, engagée. L’époque de la Nuit du Larzac, de François Béranger, Catherine Ribéro, Leny Escudero, Tachan, Laffaille, Michèle Bernard… Celle des tournées dans l’intimité des MJC, des foyers de village-vacances, des jardins, des caves parisiennes, devant un auditoire enthousiaste. Suivi de l’installation en communauté en 1973 dans les montagnes pyrénéennes de l’Ariège.
Sortent le premier vinyle, Peut-être, en 1972, réécrit en 1975, suivi de Je vis, en 1974, qui se vend bien à la sortie des concerts, et Il faudrait toujours pénétrer les gens (… par leur porte de service). Le premier CD du coffret regroupe douze titres de cette période réfractaire et écologique, dans les montagnes entre chèvres et légumes bio (oui, déjà). On y trouve des titres burlesques, satiriques, baroques -ah la sensualité lyrique des Insurgés – sur des musiques proches du rock progressif, mais aussi des ballades poétiques comme l’Églantine de mon jardin, universalistes comme Les pays n’existent pas, ou la synthèse de toutes, Je vis.
S’ensuit une période où perce la désillusion, avec des titres comme On avance à reculons ou Tout va mâle, de Passage, 1980, qui se confirme avec la déception postérieure à la victoire de la Gauche, qui portait tant d’espoir, et dans la chanson l’indifférence grandissante des médias. Morice Benin devient de plus en plus poète, de plus en plus homme, engagé dans sa façon de vivre, dans ses actions et dans son verbe plus que dans des textes frontalement militants. Le deuxième CD de douze titres extraits de quatre albums correspond à cette période de transition, aboutit à la chanson titre de l’album de 1981, Apocalypse, où se retrouve ce goût des chansons fleuves lyriques, poétiques et surréalistes, posant des questions essentielles et tirant l’espoir de l’énergie vitale de chacun.
Le troisième correspond aux années 80 où on l’entend encore à la radio chez Foulquier, Villers ou José Artur, où il passe à l’Olympia et dans les festivals, fait des tournées en France et à l’international, met en musique des poèmes, s’installe à Grenoble et crée sa première comédie musicale pour enfant. De cette période fertile en création, avec le pianiste arrangeur Michel Goubin, quinze titres ont été retenus parmi cinq albums dont l’un En public. De Désir à Chemin d’alliance en passant par Sémaphore, Morice Bénin y déploie ce style que l’on reconnaît pour toujours, dès qu’on l’a entendu, mêlant cordes symphoniques et rythmes africains, riffs rock ou ballades folk à ces fresques poétiques qui racontent l’humanité, de sa voix douce si particulièrement identifiable. On y trouve cet Enfant « Tu nous rapproches un peu plus du soleil, Tu nous montres la route sans jamais la nommer (…) Tu es l’offrande, la face cachée, le sens même de notre vie », sujet qu’il reprendra plusieurs fois aussi, avec la force des femmes. Toujours la vie… Et aussi Chanter « Allumer un brasier, y brûler ses angoisses », et Je chante pour demain (titre choisi par Hugo Benin dans le spectacle hommage à l’œuvre de son père), qui semblent répondre à cet étonnant dialogue, Hé Benin… « quand est-ce que tu passes à la télé », grand délire burlesque sur la création enregistré en Live. De ses amis, les textes d’un blues effréné du poète psychanalyste Joseph Rouzel, Qu’est-ce qu’on fout sur la terre, 1984, et un de l’écrivain breton Jacques-Yves Bellay, J’entends venir l’hiver (1987)
Le quatrième CD va de Respirer (1988), avec la chanson titre, et ce poème de René-Guy Cadou, À chaque vie d’être vécue, 1988 (auquel il a consacré un disque entier en 1984, prix Charles-Cros en 1985), ou Je chanterai après ma mort, jusqu’à Être (2005), cinq albums pour dix-neuf chansons, le passage de la dernière décennie du XXe siècle aux balbutiements du XXIe siècle, à la tonalité pop jazz.
Du Funambule amoureux (1996) sont ce Quand tu viendras, avec le compositeur-pianiste Eric Dartel, ou ce Souffle d’homme, sur un thème musical de la Renaissance.
C’est aussi l’époque des séminaires de développement personnel avec l’écrivain-poète-sociologue Jacques Salomé, des ateliers d’écriture, du magnifique spectacle Vie-Vent, pour la salle Claude Nougaro du Comité d’établissement d’Airbus à Toulouse et son album (2000) avec Marin de Terre, On avance sur la musique de l’artiste kabyle Djallem Allam, ou encore Maquis, avec le pianiste Norbert Paul, qui évoque avec beaucoup de modestie sa carrière d’artiste « Et vous vous étonnez que je ne sois pas connu ».
Être, de 2005, comprend sa chanson la plus autobiographique, Fils de la Vie, « Le p’tit Moïse en culottes courtes cueille l’avenir le vent en poupe », à son père Abraham et ce prémonitoire « J’ai mis trente années pour te perdre, une nuit pour te rejoindre », l’hommage à la Bretagne Breizh ardente où la musique celte rejoint la Méditerranée ou même l’Afrique.
Le cinquième CD appartient au XXIe siècle, avec dix-huit chansons des six derniers albums de Morice Benin, conscient du temps passé, goûtant la joie d’être en vie. Instants d’éternité, 2009 résonne comme un testament : « Juste l’oubli du cadran de nos âges » mais aussi « Le goût de tout recommencer ».
Deux albums en 2009, Atteindre, issu d’une première réédition de dix-huit très anciens enregistrements en cassette comprenant divers auteurs poètes de Khalil Gibran à Luc Marie-Dauchez, tels La vraie force : « Apprivoiser la faiblesse » en passant par Vasca , Bruno Ruiz ou Philippe Forcioli, et bien d’autres, regroupés par thème, de Naître à Partir, en passant par Agir, Éprouver, Aimer… ; et L’élan, avec cet hommage à la flamme du petit garçon qu’il était, de l’homme qu’il est devenu, poussière d’étoile dans le monde qui l’entoure, le si émouvant Tu es partout.
Suivent Des astres annoncés (2012), Infiniment (2014) et L’inespéré (2017) dont j’ai eu la chance de vous présenter des chansons, à Aix en 2017, avec le pianiste Dominique Dumont. Nous sommes beaux… Carrière validée, ce formulaire de la Caisse Nationale de Retraite qui, à 65 ans semblait lui intimer de se taire, dont il a fait une chanson burlesque tout à fait dans la lignée de ses toutes premières chansons, où il nous redit « Je chanterai après ma mort », et à laquelle Quarante ans sont passés, « Et je chante encore » semble répondre… Et puis Juste l’heure en septembre 2020.
En octobre 2020, il se tenait « prêt à venir chanter là où l’on me demande », et proposait pour le printemps de développer ses « Chants sourciers ». Il y a trois ans, le 19 janvier 2021, nous l’avons perdu. Mais la source n’est pas tarie, vous pouvez déjà vous procurer cette anthologie, qui vaut infiniment plus que son prix spécial en ce moment. Et explorer patiemment tout cet immense répertoire, certains albums sont disponibles sur la boutique de son site, avec aussi ce Journal d’un saltimbanque, La vie absolument, qui est une autobiographie, un livre d’art et de pensée vivante, qui pourrait bien devenir votre livre de chevet. Et si vous voyez annoncer le spectacle Je chante pour demain autour de l’œuvre de Morice Bénin, courez-y sans hésitation !
Morice Benin, Je chanterai après ma mort, Coffret Cinq CD, EPM, 2023
Le compte de Morice Benin, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. Vous pouvez vous procurer cette anthologie chez EPM et certains albums ainsi que son Journal sur la boutique de son site.
Les pays n’existent pas, 1975, en concert en 2010
L’églantine de mon jardin, 1974, en concert en 2011
On avance, 2000 en concert en 2006
Maquis, audio 2000
Quarante ans sont passés, en concert chez l’habitant
Et pour que vive à jamais l’œuvre de Morice Benin :
Je chante pour demain, présentation spectacle autour de l’œuvre de Morice Benin, par Hugo Benin, Simon André et AnneLise Roche, voir le site de l’association Les grands sauvages :
Commentaires récents