Berline et Winsberg invitent de Pourquery, de Magdalena à Marylin
6 janvier 2024, Le Petit-Duc à Aix-en-Provence, « Comme un frisson dans l’air »
Une voix, un musicien. Tels se définissent le duo Les Poétic’s, Berline, danseuse, comédienne, chanteuse, et Louis Winsberg, guitariste de jazz depuis 1986 (classique et synthé), collaborant avec de nombreux musiciens (des gitans Los Reyes au Sixun), et artistes vocales telles que Dee Dee Bridgewater ou Maurane en France et à l’International.
Une configuration désormais classique, mais quelle guitare et quelle interprète ! Déjà en 2015 ils produisaient « Mes révérences », un spectacle et un album de standards revisités jazz, rock, latino, où s’invitaient accordéon, contrebasse, instruments orientaux ou latins… On y trouvait aussi bien Brel (Une incroyable version des Flamandes commençant en douceur avant de se muer en grande messe rock, jazz, blues), Brassens, Piaf, Moustaki, que de la variété italienne (Bambino), Adamo (où les arpèges de Winsberg neigeaient en vérité), ou Christophe (épure fragile pleine d’émotion, des Marionnettes). Quant à Padam, padam « Il vient d’aussi loin que je viens / Traîné par cent mille musiciens », il y quittait le musette pour des accents dissonants et ravagés semblant porter tout le chahut des sentiments et des douleurs de la vie de Piaf…
C’est ici un projet encore plus ambitieux qui se monte entre eux deux, puisqu’il mêle intimement théâtre de la douce tragédie de la vie, chanson, musique de Bach à Elvis, s’appuyant sur les mots, le (et les) sens, les émotions, s’envolant sur les notes, avec en contrepoint du duo le flamboyant et inclassable Thomas de Pourquery en invité. Connu comme musicien de jazz, saxophoniste, chanteur, auteur-compositeur et acteur, fondateur du sextet Supersonic, et s’apprêtant à sortir un album de chanson pop en mars réalisé avec Yodelice. Rare occasion pour lui de chanter en français. Chacun des trois artistes se caractérise par sa soif d’expérimentation et son absence de limites, mais aussi par une facilité assez incroyable à générer de l’émotion dans ce qui ressemble à un opéra.
Le fil de la vie se déroule avec la lecture des souvenirs d’Anna-Magdalena Bach, deuxième épouse de Bach avec qui elle eut treize enfants dont seul cinq survécurent. Un ouvrage fictionnel des années 20 plus vrai que nature, où Magdalena est muse, intendante, femme amoureuse et mère douloureuse des enfants du génie. Chanteuse à l’origine, elle trouve le temps de faire de la musique en loisirs quand ses nombreuses tâches ménagères lui en laissent le temps, se formant en même temps que les enfants du maître. Berline est la lectrice aimante en peignoir de velours, poignante avec sa voix grave légèrement voilée sur la musique écrite par Dutilleux en hommage à Bach. « Chantez moi quelque chose de beau sur la mort car mon heure est venue », aurait dit Bach sur son lit de mort.
Même les chansons plus connues, Comme à Ostende de Jean-Roger Caussimon via Ferré, ou Piaf J’men fous pas mal (Michel Emer) tout en tendresse frémissante, prennent avec le trio une vibration inédite, laissant se développer les arpèges de guitare, les voix du saxo, les sifflements, murmures, vocalises en boucle que génère de Pourquery sur son échantillonneur, dans une composition aussi complexe que naturelle. Comme dans une inversion de genres, c’est Berline qui est au bar du port quand c’est de Pourquery qui se « ferai[t] teindre en blonde » et cet hymne à l’amour en prend une dimension céleste. C’est lui aussi qui pose des questions métaphysiques sur ce renversant Où va cet univers de Ferré (musique Yves Rousseau, déjà chantée par Cisaruk), iconoclaste, « Non mais sans blague / Christ tu fuis de ton flanc ».
Le trio s’est servi de la déjà si percutante vidéo de Joe Starr et Nathy (Carribéan Dandy) samplant La foule chantée par Piaf, pour en faire une pièce maîtresse dans la pièce, où se répondent les voix slamées de Berline et de Pourquery, sur un arrangement des textes, et des sonorités autant primitives qu’électro sur lesquels s’élève le chant libre du saxo.
C’est une miniature ravelienne en notes de guitare qui ramènera le calme après cette arène à l’atmosphère aussi forte qu’un Sacre du printemps : « Combien sont sur la liste des amours tristes de la mélancolie (…) de Miles Davis le blues, de Baudelaire le spleen, et pour Ravel celle d’un vieux piano Pleyel », un texte inédit de Nougaro. Laissant la guitare finir le cri du saxo, enchaînant directement sur l’émotion de la Marylin de Nougaro, chantée tout en empathie par la voix aérienne de Thomas de Pourquery. Dernière scène avec les confessions de Berline-Marylin en peignoir blanc, dans des effluves de tabac blond, « Aime-moi vraiment, prends moi dans ton cœur », tandis que de Pourquery la berce d’un Love me tender à pleurer.
D’ailleurs, si vous n’avez pas versé une larme durant ce spectacle à fondre de beauté et d’émotion, c’est que vous avez un cœur de pierre. Une façon merveilleuse de débuter la saison musicale 2024.
Le site de Louis Winsberg, c’est ici. La page facebook de Thomas de Pourquery, ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
Thomas de Pourquery est à l’Hyper weekend à La Maison de la Radio le 28 janvier 2024 et à La Cigale à Paris le 25 avril.
Pas de vidéos encore du nouveau spectacle sauf ces extraits de l’Arène sur la page du Petit-Duc filmés par Eric Hadzinikitas.
Berline et Louis Winsberg « J’m'en fous pas mal » session décembre 2022
Thomas de Pourquery « Hymne à l’amour » au Grand Dimanche sur France inter décembre 2023 (version piano)
Nous étions au Petit Duc ce soir-là. Nous avons pleuré en écoutant « Comme à Ostende », le texte de Marylin, Thomas de Pourquery chanter Nougaro, Elvis.
Magnifique soirée, rare.