Jacques Debronckart, mort et bien vivant !
Jacques Debronckart est décédé le 25 mars 1983, à l’âge de 49 ans, emporté par un foutu crabe. Un point commun avec Jacques Brel, parti lui aussi au même âge et pour la même raison. Parallèle macabre, mais pas saugrenu pour autant, tant les chansons du Jacques méconnu rappellent par bien des aspects celles de son illustre contemporain : même rigueur d’écriture, même ironie sous-jacente, même soif de liberté et mépris des convenances, même talent de comédien dans l’interprétation…
Pour s’en convaincre, rien de tel que de jeter une oreille sur la magnifique intégrale qu’EPM met à notre disposition. Une splendide initiative qui permet de (re)découvrir sans se ruiner ce magnifique chanteur, scandaleusement absent de la mémoire du grand public. Un beau coffret de cinq CD, avec un livret reprenant – entre autres – une biographie de l’artiste par Raoul Bellaïche permettant très utilement de resituer l’œuvre et l’artiste dans son contexte.
Que retrouve-t-on dans cette anthologie ? Les trois premiers CD recouvrent l’ensemble des enregistrements-studio de Jacques Debronckart. Soit les cinq albums qu’il avait gravés dans la cire en 1967, 1969, 1974, 1976 et 1982, auxquels on ajoutera les Super 45 tours enregistrés en 1965-1966 (dont sa célèbre chanson Adélaïde) et un 45 tours de deux titres datant de 1970. En tout, soixante-treize occasions de retrouver la voix de l’artiste. Un total presque dérisoire pour près de trente ans de carrière.
L’amateur sera donc aux anges avec les deux derniers CD du coffret : d’une part, un enregistrement public inédit (vingt-quatre chansons en piano-voix, captées à Alençon le 6 septembre 1982, quelques mois avant son décès) et, d’autre part, pas moins de quinze titres de ses débuts, dont il subsistait un enregistrement de travail.
Qu’il s’agisse de ses chansons déjà connues ou de ses inédites, de ses premiers morceaux ou de ses ultimes, la cohérence de l’œuvre frappe l’auditeur. Jacques Debronckart conçoit la chanson comme une mini-pièce de théâtre, mettant en scène un personnage qu’il interprète avec un art de comédien consommé. C’est le bobo d’avant l’heure de J’suis heureux, le voleur béat et moraliste de Klepto, le gars du Nord qui rêve de soleil de Ma mère était espagnole, le grand-père avisé de T’embarque pas sans biscuit, le flagorneur qui réclame son dû de Mon cher député… Parfois, la chanson a une portée plus générale, dressant un constat où chacun peut se retrouver, comme dans Nous (C’est nous) ou Mais si mais je t’aime, terribles chansons de désillusion sur l’amour pas aussi éternel que l’on espérait. Pourtant, l’angle de vue adopté sera toujours celui de l’humain : pas d’envolée lyrique mais bien une histoire concrète de couple ! De même, La liberté, malgré son titre conceptuel, évoque la vie réelle dans un régime totalitariste et s’il est question de l’absurdité de la guerre, ce sera par le biais des Mutins de 1917…
Passer par la fiction n’empêche évidemment pas l’auteur de se livrer en filagramme. Sa chanson la plus bouleversante reste à cet égard son Écoutez, vous ne m’écoutez pas, où le désarroi du narrateur est trop palpable que pour ne pas exprimer le vécu de l’auteur. Comment de même ne pas le deviner dans ses douloureux portraits de comédiens/chanteur sans succès (Pitié pour le chanteur, Je suis comédien, La chanteuse…) ?
Ne nions pas que certaines de ces chansons ont la patine des années. Les découvrir aujourd’hui n’en reste pas moins un plaisir, tant les orchestrations (signées par les pointures qu’étaient Oswald d’Andréa, François Raubert ou Alain Goraguer) passent toujours la rampe. Enfin, la voix de Jacques Debronckart, claire et puissante, sa diction parfaite, son interprétation habitée sont des atouts majeurs pour assurer à son œuvre l’immortalité qu’elle mérite.
Pour être complet, signalons par ailleurs qu’EPM propose également deux CD incontournables pour les Debronckarophiles, par lesquels deux artistes continuent à répandre la bonne parole (et musique) du disparu : Christian Camerlynck chante Debronckart et Voix de cailloux (quinze chansons inédites par Rémo Gary). Deux albums qui complètent utilement cette généreuse intégrale.
Quarante ans après son décès, il est plus que temps de sortir Jacques Debronckart du purgatoire où il est enlisé. Puisse cette intégrale y contribuer.
Jacques Debronckart, J’suis heureux, EPM 2023. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là. Pour commander ce coffret, c’est ici.
Dès que je rentre en France, l’une des premières choses que je vais faire, c’est acheter ce coffret de 5 CD.
J’ai déjà un Cd de lui ainsi que l’admirable « Christian Camerlinck chante Debronckart ».
« Chantez, chantez, voix éraillées » On peut écouter dix fois de suite cette chanson, on est bouleversé à chaque fois.
Debronckart ? Du grand art !
Lors d’une tournée « Fédération des Œuvres Laïques », en Creuse, j’ai entendu Catherine Sauvage dire qu’elle mettait, elle, Jacques Debronckart, au-dessus de Jacques Brel. Il me semble que sa « secrétaire » de l’époque avait travaillé avec lui.