Laura Cahen, deux guitares pour la fille du vent
25 novembre 2023, Le Petit-Duc, Aix-en-Provence, « Des filles »
Il fut un temps où Laura Cahen se présentait avec un loup de maquillage sur les yeux, était-ce en rapport avec ce titre qui fut son premier vrai succès, Mon loup, en 2012, un.e partenaire à croquer ? Toujours est-il qu’après Nord (2017), son premier album long, très aérien, cinématographique, où se déroulent les saisons, le froid, la pluie, le feu, une pop romantique au son parfait, réalisé avec Samy Osta (La Femme, Feu ! Chatterton), récompensé d’un Coup de Cœur de l’Académie Charles-Cros, Laura ne se présente plus avec ce masque ethnique. Mais complètement naturelle, cheveux lâchés, chemise et jean sombre, pour une version acoustique en solo de ses chansons, seulement munie d’une guitare et d’une guitare électrique, sur la scène du Petit-Duc. NosEnchanteurs n’avait pas encore consacré d’article complet à la trentenaire originaire de Nancy, chantant depuis une douzaine d’années, avec à son actif deux albums et plusieurs EP, autrice de textes poétiques, compositrice, guitariste, chanteuse à la voix lumineuse, habituée des collaborations avec d’autres artistes. Ses inspirations vont des anglo-saxons pop-folk-indie à la chanson française d’Anne Sylvestre dont elle fait sienne La femme du vent. Qui sait si sa chanson Coquelicot n’est pas aussi une réminiscence d’Anne Sylvestre. Elle figure également dans l’hommage à William Sheller Simplement avec Maman est folle, tout en intériorité.
C’est à un récital d’esprit très folk que nous allons assister, avec la voix si cristalline, si modulée de Laura, où se mêlent des chansons d’Une fille, 2021, repris en 2023 avec un EP de sept duos féminins, Des filles. Une voix qui vous emporte loin dans un monde où là encore les éléments sont autant de supports, voire de métaphores des sentiments : la mer omniprésente, la montagne, la forêt, la pluie, le soleil (cette si belle complainte que nous vous avons déjà présentée, illustrant un film d’animation), la poussière, le vent : « J’ai ouvert toutes les fenêtres / Il veut m’emporter / Le vent chante l’été / Je suis la fille du temps mauvais » (Désarmée). Sur cette délicate mélodie on entend les doigts glisser sur les cordes, comme caresse, mais c’est bien le temps qui s’écoule sans qu’on puisse le retenir sur celle qui a déjà tant marché et tant aimé.
Peu d’histoires dans ces poèmes d’atmosphère, sauf peut-être le drame de La jetée « la jetée, le phare / Je m’y suis jetée un soir / Le vent si fort m’y poussait / M’y poussait / Te toucher, te toucher dans le noir / Je m’y suis noyée » ou sa jumelle, l’adaptation de What he wrote de l’autrice anglaise Laura Marling, la mélancolique « Pardonne-moi : …si je ne veux plus rester / Il m’a laissé sans voix / D’un aveu m’a tuée ».
Laura reste discrète, inspirée, presque timide, et pourtant elle a vite fait d’emporter l’adhésion d’une salle comble, un public très jeune même si les musiques urbaines ou l’électro sont absentes, qui répond à l’appel pour faire les chœurs sur le refrain des Ronces, pourtant pas si facile à mémoriser : « Je m’en moque je m’en défends / Je m’en balance et je danse l’été / Je m’en moque tu m’entends / Si tu me dénonces, tant les ronces m’ont blessée ». Elle nous raconte l’inspiration de La Fièvre noire, qui parle du Labrador canadien mais a en fait été écrite en regardant la montagne alsacienne, ou la réécriture en français de la chanson de Laura Marling qui l’inspire.
Une seule chanson évoque sa vie privée, Dans mon lit « Qu’est-ce que ça peut vous faire / Si je préfère / Dans mon lit une fille? », même si son nouvel EP Des filles fait plus la place aux sentiments intimes, sans s’en tenir aux ressentis amoureux.
Rien contre les hommes, si elle s’attache à trouver des musiciennes (une batteuse, une bassiste), c’est pour donner leur chance aux artistes féminines qui peinent à se faire leur place dans un milieu demeurant assez machiste. Elle nous dira aussi qu’elle préfère l’appellation fille à femme, qui pour elle représente un rôle culturel, social, attribué. Mais elle chante aussi en duo avec des hommes, et ses deux derniers albums ont été réalisés par deux hommes. En fait ce sont des humains dont parlent ses chansons, peu importe leur genre, même si l’une des plus émouvantes, Réverbère, de l’album Nord, évoque un homme égaré : « Il s’ennuie / Dans un verre, souvent / C’est ainsi qu’il enterre sa vie / Il s’enfuit ». Et chaque chanson est avant tout impression poétique où chacun peut trouver une signification qui correspond à sa propre expérience, à sa sensibilité. Le double rappel sera une chanson d’un futur album, Partout, et Danse du dernier EP, qui de la balade électro en duo avec Juliette Armanet se fait poignante déclaration d’amour.
Laura Cahen, Des filles, Pias, double-album 2023
La page facebook de Laura Cahen, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. Les dates de concert de Laura Cahen sur Caramba Productions, c’est ici.
« Si rien ne bouge », 2023, bilingue avec Juneson (Live at Artistic Palace)
Commentaires récents