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Jehan, le logeur de joie

Jehan (photo non créditée)

Jehan (photo non créditée)

C’est un disque à l’ancienne, comme on n’en fait (quasi) plus. Un disque d’artisan moulé à la louche, sans colorants artificiels. Un disque bio, pourrait-on presque dire, produit dans le respect des circuits courts. Il s’appelle Là où la joie se loge et c’est le nouvel album de Jehan.

Jehan, c’est avant tout une voix, immédiatement reconnaissable, avec cette pointe d’accent occitan et ce velouté rauque tellement craquant. Une voix bluesy qui donne à la Garonne des reflets de Mississipi. Une voix qui, à l’instar de celle d’Arno, métamorphose toutes les chansons dont elle s’empare, les ripoline, leur donne une couleur inédite.

Les amateurs seront donc à la fête, tant les orchestrations de l’album mettent le chant en valeur. Un accompagnement sobre, aux sonorités jazzy, fait de piano, guitare, contrebasse et cuivres. Pas de sons synthétiques (ou si peu), rien que du naturel, du boisé, de l’acoustique. Superbe travail du réalisateur-pianiste Léo Braun.

Encore fallait-il mettre à profit ce bel emballage sonore. On connaît le goût sûr de Jehan dans son choix de chansons, qu’il s’agisse de reprises (si ce n’est déjà fait, découvrez sans retard son La vie en blues de 2011) ou de son propre répertoire. La présente galette est un gourmand mélange de ses deux aspects d’artiste, avec, d’un côté, quelques reprises, et de l’autre, une poignée d’inédits. Des chansons existantes, mais parfois si peu connues du grand public qu’elles ont la fraîcheur de nouveautés. Et des créations, qui sont presque toutes des mises en musique de textes d’auteurs disparus. C’est le grand talent de Jehan que d’ainsi entremêler passé et présent pour nous livrer une œuvre intemporelle.

Jehan 2Côté nouveautés, Baudelaire ouvre le bal. Il faut dire que son poème Moesta et errabunda a des allures de chanson, chaque strophe débutant et se terminant par le même vers. Une invitation au rêve et au voyage vers un paradis perdu, qui trouve en Jehan un interprète idéal, fougueux et tendre à la fois. D’autres poètes bénéficient de ses talents de compositeur : l’ami Allain Leprest pour un titre inédit (Les rues du monde), présent par ailleurs une seconde fois avec son célèbre S.D.F. revisité, Jean-Roger Caussimon (émouvant tableau alcoolisé, Le Baobab, qu’on imagine bien interprété par son illustre auteur), Almeida Garett (un Je ne t’aime pas de 1850 frappant de modernité), Edmond Haraucourt ou Olivier Taffin. Ajoutons-y deux textes déclamés sur fond musical : Par les villages du prix Nobel Peter Handke et l’émouvant et pétillant Crépuscule des vieux du Québécois Marc Favreau, plus connu sous le nom et le costume clownesque de Sol (quelle magnifique idée qu’a eue là Jehan de le remettre en lumière l’espace d’un morceau !).

Au niveau des reprises, Le gardien de phare de Nougaro, dans une version guitaristique endiablée, côtoie les Quatre-vingts beaux chevaux de Michèle Bernard, tout en lenteur et majesté. Avec toi le déluge d’Anne Sylvestre emballe le navigateur de passage, tandis que La musique de Jean-Pierre Ferland attrape en quelques vers l’essence de l’artiste. Achevons le tour du disque en signalant une reprise de Jehan par Jehan, avec sa nouvelle version du J’aimerais tant savoir de Bernard Dimey.

Cerise sur le gâteau : outre toutes les paroles des 14 morceaux du disque, le beau livret nous permet en quelques lignes de découvrir les raisons et circonstances des choix de Jehan. Autant d’émouvants témoignages d’amitié ou de respect pour ces auteurs presque tous disparus.

On l’aura compris : Là où la joie se loge est une belle réussite, à même de satisfaire tout amateur de chansons. Un disque comme on n’en fait plus, écrivais-je à l’entame de cet article. Raison de plus pour le posséder.

 

Jehan, Là où la joie se loge, E.P.M, 2023. Le facebook de Jehan, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là. Pour commander ce disque, c’est ici.

 

« Les Rues du monde » : Image de prévisualisation YouTube

« Le Crépuscule des vieux » : Image de prévisualisation YouTube

2 Réponses à Jehan, le logeur de joie

  1. Gallet 2 décembre 2023 à 17 h 33 min

    C’est agréable de lire une critique aussi élogieuse, qui plus est de la part d’un chroniqueur qu’on associe plutôt aux artistes médiatisés. Je partage sans réserve et sans réseau (a)social, comme a chanté Imbert Imbert …

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    • Michel Kemper 2 décembre 2023 à 18 h 12 min

      Comme quoi il est important de ne pas avoir des représentations toutes faites… Dans nos chroniques relatives à des « artistes médiatisés », le regard de NosEnchanteurs, qu’il vienne de Pol de Groeve ou de tout autre de ses collègues, ne ressemble aucunement au traitement habituel et complaisant de la grande presse. C’est en cela qu’il est intéressant, pertinent même.

      Répondre

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