Stavelot 2023. Il est 21 heures, Piris s’éveille
Abbaye de Stavelot, « Une chanson peut en cacher une autre », 18 novembre 2023
Le noir se fait dans la salle et sur scène. Des coulisses montent alors des voix fatiguées : « Bon, on y va ? » « Okay, quand faut y aller, faut y aller ». Le sourire se glisse instantanément sur tous les visages de l’assistance. Il ne les quittera pas de la soirée.
Le trio entre en scène. A la batterie, Olivier Kikteff. Nous apprendrons plus tard son sacrifice : l’homme est en principe guitariste mais s’est proposé de remplacer au pied levé le titulaire victime d’un empêchement. Il a donc dû en quatre jours apprendre tous les rouages de l’instrument et du répertoire, pour un résultat ma foi remarquable. Ce qui prouve donc qu’on peut devenir batteur en une demi-semaine (je sens qu’avec cette remarque, je vais me faire des copains parmi les musiciens !). A l’énorme saxophone (il paraît que c’est un sax-baryton, en tout cas, je n’en avais jamais vu un comme ça…), Thibault Galloy. Au violoncelle, au chant, à l’écriture et aux compositions, la vedette du jour, Hélène Piris.
Et ça démarre sur les chapeaux de roue. La chanteuse est du genre nerveuse, et avec ses cheveux courts en pétard, son corps élancé de guerrière, son maquillage flamboyant et ses lèvres vertes, elle en impose incontestablement. « Non mais on va s’en sortir », nous chante-t-elle d’emblée, chanson-titre de son dernier album. C’est vrai quoi, c’est sûr que le monde va se réveiller et ne va pas se laisser mourir, on va se débarrasser des nuisibles, réduire notre consommation, devenir plus intelligents. Une chanson d’espoir ? Tendance Giédré, alors, l’ironie et la causticité étant de mise.
Toutes les chansons seront issues du même tonneau galvanisant. L’égalité des chances évoquée se ponctue d’un désabusé « Et ta sœur ? ». Les mésaventures récurrentes d’un Michel lambda en visite à Pôle Emploi, à l’hôpital ou chez son banquier, forment une trilogie aussi amusante que déprimante. Ma chérie et son refrain roucoulant « Ah qu’il est doux d’être une femme » mettent l’inceste et l’excision sur le tapis. Comme dirait mon cher Jean-Jacques convoque la routine de la vie et des matins plus pourris que ceux chantés par Goldman. Quant aux deux morceaux inédits dont nous avons eu la primeur (C’est un peu chiant et La France la France la France), ils dressent encore une fois un constat de l’époque aussi noir que drôle.
Loin d’être plombante, cette noirceur nous est servie sur un plateau rythmé de tous les diables, mêlant rock, funk et jazz, avec une très belle incursion vers la musique orientale pour le nostalgique Les Montagnes de l’Atlas. Hélène Piris mène le show avec dextérité, s’assurant que les références bien françaises sont quand même comprises de l’assistance, s’émerveillant de la chaleur du public et déplorant notre météo bien difficile pour la fille du Sud qu’elle est. Le public sourit, rit, participe avec cœur, écrase même une larme discrète de temps à autre. Et en redemande. Après tout, comme elle le chante si bien : « Si jamais on s’en sort pas, et ben c’est pas si grave que ça ». Pas de lézard, donc.
Le concert s’achève sur une note plus intime, l’artiste revenant nous interpréter en solo ses impressions d’enfance (La garrigue et la centrale nucléaire). Pour ceux qui en aurait douté, la preuve que l’humour noir s’accompagne souvent bien plus de tendresse que de cynisme. Le public est définitivement conquis. Une vraie victoire à la Piris.
UNE PREMIÈRE PARTIE ÉCHEVELÉE
Le groupe qui ouvrait la soirée nous vient de Bruxelles et se dénomme Crolles. Explication de texte : en bruxellois, ce terme désigne les boucles de cheveux. En voyant débarquer le duo, on comprend tout de suite la raison de ce patronyme : les deux jeunes filles sont dissemblables par bien des points (déjà, Amandine fait plus d’1m80, tandis que Leïla mesure à peine 1m60) mais ont en commun une tignasse bien fournie du plus bel effet.
Le groupe existe depuis à peine 3 ans. Pas d’album, pas de site, même pas de page FB, juste une présence sur Instagram. Cela reste donc encore très artisanal et perfectible, mais le terreau est là pour que s’épanouissent de jolies fleurs. Elles chantent a cappella un mélange de rap, de slam et de chanson. Des textes habilement tournés, jouant sur les sons des mots, sans que cette virtuosité ne nuise au fond. Une fraîcheur qui a fait un bien fou.
Le site d’Hélène Piris c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle c’est là. L’Instagram de Crolles, c’est ici.
Hélène Piris, « Comme dirait mon cher Jean-Jacques », clip 2022
Hélène Piris, « Michel à Pôle Emploi », en concert au Chat Noir, 2023
Crolles, « Éloge du moche », Bezet , 2022
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