Stavelot 2023. Lila Tamazit Trio : Magny magnifiée

Lila Tamazit Trio à Stavelot Photos ©Benjamin Georges

Abbaye de Stavelot, « Une chanson peut en cacher une autre », 17 novembre 2023

Une fois n’est pas coutume, ceux qui s’en viennent fouler ce soir la scène de l’Abbaye de Stavelot ne sont qu’interprètes. Délaissant les habituels auteurs-compositeurs-interprètes, le festival a en effet misé sur une soirée d’hommage – un tribute, selon le terme à la mode – à une grande disparue de la chanson, Colette Magny. Une très belle idée, qu’on ne peut qu’inviter les organisateurs à renouveler.

Loin de nous pourtant l’idée de réduire les intervenants de ce soir à de simples exécutants de chansons gravées dans le marbre. S’il est en effet une artiste qui a laissé une œuvre ouverte à (ré)interprétation, c’est bien Colette Magny. Le blues et le (free) jazz en forment le socle : existe-t-il musiques plus libres que celles-là ? Et qui oserait minimiser le talent du trio virtuose qui se produit ce soir, Lila Tamazit au chant, Vincent Viala au piano et David Georgelet à la batterie et aux percussions ? Tous trois remarquables, indissociables, rivalisant d’audace et de maîtrise chacun dans leur domaine. Ils nous ont offert une grande et belle soirée musicale, qui a fait parfois trembler les murs par la seule violence des notes jouées et a ravi le public, pourtant pas forcément habitué à ce style de musique.

Et les chansons ? Au risque de déplaire aux nostalgiques ou à ceux qui placent Colette Magny au panthéon des artistes français, avouons notre perplexité. C’est que le répertoire interprété ce soir nous a paru terriblement daté. Pas démodé, hélas : cinquante ans plus tard, il faut bien constater que les thèmes abordés par la chanteuse restent d’une brûlante et désolante actualité ! Le racisme au quotidien, la guerre, l’Afrique laissée à elle-même, le mépris du peuple, la répression policière… Autant de sujets toujours dignes d’indignation, en 2023 comme dans les années 60-70. Mais comme leur traitement d’alors nous apparaît aujourd’hui suranné ! Comme ce discours rentre-dedans, empreint de militantisme, sans aucune distance ni second degré, a pris un coup de vieux. Comme cette forme de chanson elle-même (des vers libres qui ne se soucient guère de la métrique ou de la rime) nous paraît relever d’un autre âge. Comme cet engagement politique (« Un grand espoir, c’est Cuba », peut-on entendre) nous semble anachronique. Le triste constat s’impose : dans une telle forme, de tels messages de fraternité ne nous soulèvent plus guère, la grand-messe est définitivement dite !

Peut-être le spectacle aurait-il pu pallier cet inconvénient en adoptant une autre forme. S’il y avait eu une remise en situation des chansons ou de leur autrice elle-même, probablement aurions-nous pu plus aisément nous reconnecter à ces morceaux collant à leur époque et ayant vieilli avec elle. Le choix est cependant tout autre : afin de souligner l’intemporalité de l’œuvre de Colette Magny, le trio nous interprète ses titres comme si elles sortaient de leur plume, sans aucune tentative d’explication ou de contextualisation. Un choix artistique que l’on peut regretter…

On se rabattra heureusement sur les chansons plus intimes, qui visent moins à faire lever les foules qu’à serrer les cœurs, au message quasi-chrétien (ce qui ne manque pas de sel pour la communiste convaincue que fut la Magny), comme La terre acquise ou Frappe ton cœur. Ou goûter à l’amertume mélancolique de Ras la trompe ou de La mort me hante. Des morceaux sur lesquels le temps a moins de prise, tout comme cette comptine qu’est l’incontournable Melocoton, chantée a capella, ou ce poème de Victor Hugo délicatement mis en musique, Les Tuileries, qui clôture le set.

Vingt-six ans après son décès, la Magny nous parle donc encore. Peut-être davantage par son image de femme libre et par sa musique se jouant des règles que par son discours militant. Le Lila Tamazit Trio permet en tout cas de vous y confronter avec force et talent, grâce lui en soit rendue.

LE CALME AVANT LA TEMPÊTE

Mélanie Isaac Photo ©Benjamin Georges

C’est à la belge Mélanie Isaac que revenait l’honneur d’ouvrir la soirée. Avec beaucoup de mérite et un peu de difficulté, c’est le moins que l’on puisse écrire, vu l’imminence de l’heureux événement qu’elle attend ! Elle a donc remodelé fissa son tour de chant : exit sa guitare habituelle, qu’elle ne peut plus brandir because son ventre plus que rond, bonjour le piano qui lui permet de rester assise durant toute la prestation. Devant tant de charme, d’humour et de simplicité, le public ne peut que craquer. Elle nous a donc entraîné dans son univers de chansons d’amour, tendance Véronique Sanson ou Juliette Armanet. C’est pop, mélancolique et léger, mais aussi en manque d’accroche pour rester vraiment dans les mémoires. A travailler encore et encore (mais c’est sûr qu’elle a plus urgent pour le moment !).

Le site de Lila Tamazit  chez Les voix.fr c’est ici. Celui du Trio chez Prado Records là. La page facebook du Lila Tamazit Trio chante Colette Magny.  Ce Que NosEnchanteurs en a déjà dit, ici.  

Le site de Mélanie Isaac, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.

Lila Tamazit Trio, « L’exil », Saran 2022 
Lila Tamazit Trio, « Le mal de vivre », Saran 2022 
Lila Tamazit Trio, « Frappe ton cœur », Saran 2022 
Mélanie Isaac, « Paradis Nord »