Gilles Servat, comme le classique qu’il est !
18 novembre 2023, Maison de la Commune, Feurs (42),
« Tournez, tournez les ailes du moulin de Guérande / Sur le grain de mes jours envolés… » C’est désormais un vieil homme au visage émacié, gestes rares, plus du tout l’ogre de scène qu’il fut jadis à éructer sa colère, sa révolte, frappant ses tambours avec rage comme à l’époque de Chantez la vie l’amour et la mort, d’Arbres ou de La Blanche hermine. Gilles Servat a plus de cinquante ans de parcours artistique derrière lui, une œuvre pléthorique, discographie généreuse. C’est une légende vivante, LE barde s’il en est, s’il en reste un.
L’Armorique, c’est loin et Servat est rare dans nos terres intérieures, pourtant toutes celtes que je sache, dans cette France parsemée de pierres levées.
Après une vie de musiques plutôt trad’, tantôt rock, l’homme offre ses chansons à la musique classique, à des musiciennes dont il regrette déjà de n’avoir pas fait appel à elles plus tôt.
Au classique il n’aurait pu ne confier que ses « classiques », ses chansons fortes en gueule, ses « tubes ». C’est ce que font les autres (voir Lavilliers en symphonique, le dernier en date). Le choix de Servat est autre, autrement plus subtil, d’une infinie poésie.
Ils sont quatre en scène : la violoniste Floriane Le Pottier, la violoncelliste Mathilde Chevrel, le pianiste Philippe Turbin et le chanteur. Ce dernier avec un pupitre et ses feuillets de textes pour filet de sécurité. Ça fait bizarre de l’y voir jeter un coup d’œil en chantant L’Hirondelle, en l’air depuis toujours.
Une Hirondelle qui n’est pas tout à fait celle d’origine, quand elle fut politique, revendicative. Un demi-siècle après, elle est apaisée, elle est « revenue » : elle se conjugue autrement, la différence est de taille.
Que de la poésie : Il est des êtres beaux, Cheval aux yeux de prune, Printemps, La Maison d’Irlande… « Chérissons les instants qui se meurent aussitôt / Et qu’on ne reverra plus jamais… » Ce ne sont plus les tracts d’autrefois, même si ces chansons-là portent en elles toujours des idées, des résolutions… À bien les entendre, c’est effectivement le survol de cinquante ans de chansons. Deux d’entre elles nous restituent toutefois le mordant du chanteur contestataire : Les Prolétaires (« S’il y a trop de chômeurs, y’aura du désordre / Il faudra des uniformes pour maintenir l’ordre ») et La Paroisse de prêchi-prêcha (sur le viol et l’église), deux textes, l’un de 1972 l’autre de 2017, d’une toujours grande actualité.
Les dames vont et viennent avec leur instrument respectif : elle sont grâce, elles rendent grâce aux chansons, leur conférant comme un supplément d’éternité. Infinie beauté.
Le final est des plus grands : Je vous emporte dans mon cœur, qu’il chante dans la salle, parmi le public. Puis, subtilement, rien qu’en instrumental, La Blanche hermine, comme un air familier génétiquement en nous, hymne là encore apaisé où même les mots semblent superflus.
J’ai souvent vu Servat en scène, en différentes époques, en toutes formations. Là, plus encore, je dis bravo : c’est un grand, un très grand moment. Longtemps après, nous conserverons intacte cette émotion.
Le site de Gilles Servat, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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