Stavelot 2023. Nawel Dombrowsky, un dîner (presque) parfait
Abbaye de Stavelot, « Une chanson peut en cacher une autre », 11 novembre 2023
Clap première ! Comme souvent, les murs de l’abbaye de Stavelot ont joué les pionniers, accueillant Nawel Dombrowsky pour sa première scène en Belgique. Remercions une fois de plus la formidable équipe de ce festival hors normes de nous offrir de telles découvertes ?
On peut même sans exagérer parler de choc. C’est qu’il n’est guère fréquent d’assister à un tel déferlement de talents, tant que toute réserve ou critique semblerait pure malveillance et mauvaise foi. Les étoiles unanimement répandues dans les yeux de l’assistance ne trompent pas, pas plus que les commentaires enthousiastes de ceux et celles qui n’ont pas eu le souffle coupé.
Mais reprenons au début. Le spectacle s’intitule Les femmes à la cuisine (avec les mains dans la farine, aurait ajouté Nougaro). Effectivement, voici les deux comparses de la chanteuse qui font leur apparition – Nolwenn Tanet au piano et Hélène Avice à la contrebasse – élégamment harnachées d’un tablier. Quelques notes s’élèvent dans les airs et apparaît la maîtresse-queux, Nawel Dombrowsky, dans un autrement sexy combi-short noir, une tresse de fleurs dans les cheveux. Je vais à vous, nous susurre-t-elle, comme une invitation au rêve. Elle est à peine à la moitié du chemin que nous l’avons déjà rejointe, l’évidence sautant aux yeux : nous allons vivre avec elle un moment rare et beau. Au menu du jour : diction parfaite, jeu de comédienne au diapason de son chant clair et varié, son impeccable, accompagnement aux petits oignons et sur la table, une dizaine de mets fins, à même de satisfaire les palais des plus difficiles.
Le gourmet derrière cette plantureuse carte, c’est Yanowski, tant à la plume qu’à la composition. Quiconque connaît Le Cirque des mirages sait combien il est un auteur original, revisitant à sa manière la chanson réaliste de l’entre-deux-guerres, la parsemant de second degré sans en édulcorer la force expressive. Un digne disciple de Pierre Philippe, un compagnon de route de Juliette. On retrouve incontestablement sa patte humoristique dans certains morceaux, de la chanson-titre du concert (méfiez-vous des plats concoctés dans cette fameuse cuisine féminine !) au portrait parigot de Bébère la Brute, en passant par l’étonnant Défilé propre à émoustiller les dames. On le savait moins parolier sensible, qui nous ramène en enfance en quelques images, nous fait vivre la douleur des migrants, nous invite à la rencontre des rejetés de la vie. Quel que soit le registre, tout est finement écrit, amené, tourné, sans pathos ni lourdeur. Des morceaux qui méritent trois étoiles au Guide Michelin de la chanson.
De telles pierres précieuses exigent toutefois un bijoutier à la hauteur. C’est peu dire alors que ces chansons ont trouvé en Nawel Dombrowsky l’interprète idéale. D’un côté, exubérante dans la drôlerie, quand elle dégaine son féminisme pour clouer le bec à ceux qui la ramènent trop, brocarde les diplômés des écoles de commerce ou déplore ce foutu instinct maternel qui lui fait passer des nuits blanches. Autant de personnages qu’elle incarne avec justesse, sans jamais pousser trop loin la caricature. De l’autre côté, émouvante dans la retenue, la tendresse et l’humanité, quand elle évoque les anciens réfugiés espagnols ou nous remercie pour nos applaudissements. Aussi douée pour nous arracher les rires que les larmes. Du grand Art, incontestablement.
En guise de dessert, Nawel Dombrowsky a clôturé sa prestation en nous interprétant deux extraits de son futur spectacle, écrits par elle-même et mis en musique par sa pianiste. Deux chansons qui laissent augurer que ce brillantissime Les femmes à la cuisine ne sera pas un one-shot. Deux titres qui démontrent qu’elle n’est pas une simple muse candide d’un Yanowski pygmalion. Deux morceaux à la sensibilité féminine plus marquée, annonçant peut-être un avenir moins porté sur l’humour et davantage sur l’émotion.
N’en doutons dès lors pas : la suite sera délectable ! Espérons juste que Nawel tourne encore longtemps avec son présent spectacle, qu’un maximum de gens puisse s’en régaler Ce serait si dommage de s’en priver.
Le site de Nawel Dombrowsky, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
« Les femmes à la cuisine » (Live 2021)
« Le départ » (Live 2021)
Juste pour préciser qu’avant d’être le compagnon de route de Juliette, Pierre Philippe a été le grand artisan de l’éclosion de Jean Guidoni (Ah, l’Olympia de Novembre 1983 !!!).
Cordialement
Merci pour la précision, connue évidemment de tout amateurs de chansons. Mais le « compagnon de route » du texte, dans mon esprit, visait Yanowski, dont l’œuvre a bien des points communs avec celle de Juliette, même s’ils n’ont jamais travaillé ensemble à la connaissance. Je me rends compte que ma formulation peut prêter à confusion…