CMS

Gainsbourg, 5 bis rue de Verneuil

(photo Patrick Engel)

(photo Patrick Engel)

Rue de Verneuil, nous y voilà. Enfin.  

Depuis le temps que nous attendions l’ouverture au public de l’antre de Gainsbourg, de ses arcanes, de ses secrets, de ses mystères, de cet intérieur resté rigoureusement intact depuis ce funeste jour de mars 1991, figé comme dans la Belle au bois dormant…

On connait l’histoire de cet hôtel particulier, qui n’en a d’ailleurs que le nom : découvert grâce à Juliette Gréco, qui vivait au 33 de la même rue, Gainsbourg avait prévu d’y vivre avec Bardot, dont il se sépara juste avant de s’y installer finalement avec Jane Birkin, puis d’y finir sa vie dans une solitude de plus en plus crépusculaire…  

Signe des plus troublants, la veille de sa mort, il en avait donné les clefs à sa fille Charlotte.

Au 14 de la rue de Verneuil, là où se trouve désormais l’accueil, le musée, la librairie-galerie et le Gainsbarre, café et piano-bar dédié à de bien gouleyantes mixtures, nous sommes accueillis de façon vraiment charmante, discrète et efficace.   

On nous annonce qu’il faudra encore patienter une petite dizaine de minutes….  

Pas de problème, ça fait juste quelques dizaines d’années que nous attendons, que nous espérons, que nous rêvons ce moment sans même oser le croire possible ou réel.

Trente ans, même, plus exactement.  Alors, pensez, quelques minutes !

Inutile de préciser que les billets, eux, étaient pris depuis un nombre conséquent de mois !  Charlotte Gainsbourg, grâce à qui ces moments magiques sont enfin permis, dit vouloir « proposer au public une expérience à part, qui donnera peut-être une nouvelle écoute à son œuvre. Une expérience si possible à la hauteur de ce qu’il nous a laissé »

Pari amplement réussi !

Une fois équipés d’un léger casque audio qui nous accompagnera tout du long de la visite, nous traversons la rue jusqu’à la mythique façade taguée et bariolée du 5 bis.

Verneuil 1La grille de fer forgé noire, mille fois vue fermée lors de pérégrinations gainsbouriennes, est cette fois-ci entrebâillée, comme un appel, comme muette invitation bienveillante.

Sur le mur du petit sas intérieur, sur la droite, les mots de Gainsbourg lors une émission de télé en avril 1979 : « Voilà, c’est chez moi. Je ne sais pas ce que c’est : un sitting-room, une salle de musique, un bordel, un musée… ». C’est bien mieux, bien plus que cela.

Après quelques mots d’accueil de l’agréable hôtesse (notamment sur le fait de ne pas prendre de photos, ce qui à l’usage permettra une plus grande immersion encore dans les lieux), nous accueillons entre nos oreilles la voix claire et douce de Charlotte, pour nous et pour nous seuls, quelque chose du genre : « Bonjour… Je vous attendais.  Entrez ! » 

Et nous actionnons la poignée de cuivre de la lourde porte de droite, qui s’ouvre en grand sur le fameux salon/cabinet de curiosité/studio de musique.  

Tout le monde en a vu des photos, mais là, c’est différent, on y est en vrai, avec un peu l’impression très curieuse d’être dans la photo, d’en être en quelque sorte presque partie intégrante. 

Alors, nous ne vous infligerons pas une description minutieuse, ce qui serait impossible autant que fastidieux, mais bien plutôt un ressenti, un partage, une confidence…

Etonnamment, la première chose marquante, en entrant, c’est l’odeur, ou plutôt le parfum, quelque chose de léger, d’immatériel et d’infrangible qui aurait traversé les années, comme une bouffée infime et imperceptible de gitanes froides, bien sûr, mais aussi de cuir boisé, de métal froid et du légendaire et opulent parfum de chez Van Cleef & Arpels qui était littéralement la seconde peau de l’illustre occupant des lieux… 

Indépendamment de la myriade d’objets d’art ou de curiosité sur lesquels le regard hagard se pose au hasard du boudoir, il est rigoureusement impossible de ne pas être ému aux larmes quand on pense aux innombrables mélodies composées sur le clavier de ce somptueux Steinway anthracite et taciturne, tapi dans l’ombre comme une bête blessée prête à bondir toutes griffes d’ivoire sorties… 

Ecoutons Charlotte : « A l’époque de ma mère, il y avait peu de choses. Puis après, il y a eu de plus en plus de bordel très arrangé. Il a transformé ça de son vivant en musée bourré d’objets, on avait du mal à marcher sans avoir peur de casser quelque chose ».

On le sait, si les murs et plafonds sont intégralement peints en noir, c’est que Gainsbourg s’était inspiré de l’appartement de Dali qu’il avait pu visiter clandestinement dans les années 50. Et puis aussi, disait-il, parce que dans les hôpitaux psychiatriques, tout est blanc… 

Avant de préciser d’un ton clinique : « Le noir, c’est la rigueur absolue ! ». Chaque objet a sa place, et de façon quelque peu maniaque, on est bien loin de l’idée du capharnaüm désordonné que d’aucuns se plairaient à imaginer. « Quand j’ai trouvé la place idéale d’un objet par rapport aux autres, selon les rythmiques élémentaires du nombre d’or, il ne doit plus bouger ».  Pour un peu, on se surprendrait presque à entr’apercevoir du coin de l’œil l’ombre discrète de Fulbert, le fidèle et mystérieux majordome pourtant disparu peu de temps après Gainsbourg… Et toujours, Charlotte est là, qui nous accompagne, qui guide nos pas, qui chuchote à notre oreille son histoire qui est un peu la nôtre aussi à ce moment pétri d’émotion.

Après la cuisine et la porte de la chambre des enfants murée après le départ de Jane (quel symbole…), un étroit escalier à la moquette épaisse mène à l’étage un peu biscornu et exigu, à la chambre des poupées et au bureau-bibliothèque empli de livres ayant, chacun à sa façon, irrigué la geste gainsbourienne. Un peu plus loin, la salle de bain où Charlotte nous confie avoir mesuré enfant sa propre croissance à la lourde pampille de verre suspendue au lustre suspendu bien bas… Un peu plus loin encore, au bout du couloir, la chambre incroyable, émouvante camera obscura ou elle découvrit son père sans vie au petit matin du 2 mars 1991.

Tout cela, figé dans le temps comme d’un coup de baguette nostalgique, évoque tour à tour un mastaba de pharaon, un Lascaux de la chanson, une émouvante capsule temporelle…  

Et, étonnamment, cela est très, très intimiste sans pour autant être malsain ou exhibitionniste.

Gainsbourg, qui fit de sa vie une œuvre d’art en elle-même, nous offre ici, au-delà des années, ses sombres et lumineuses flamboyances.

Bouleversant, vraiment.  

Quittant les lieux en compagnie de notre complice du jour (à savoir le vénéré rédacteur en chef d’une fameuse revue consacrée à la chanson dont le nom se termine en « -gone » et commence par « Hexa- »), nous tâchons de nous remettre doucement de nos émotions sur le trottoir. En nous disant notamment combien il sera difficile de dépeindre cette expérience si intense auprès de personnes n’ayant pas eu notre chance…  En nous disant pareillement combien il parait incroyable que Charlotte ait pu, dans un tel environnement fantasque et fantasmagorique, grandir comme on l’imagine, de la façon épanouie et équilibrée qu’on lui devine aujourd’hui…

Je ne peux vous laisser, chers petits amis, sans vous conseiller de courir écouter, toutes oreilles au vent, le délicieux petit billet de François Morel sur le site de Radio France, chronique intitulée « La maison de Gainsbourg vient d’ouvrir. N’y allez pas ! ». Pour notre part, nous enchainerons de l’autre côté de la rue avec la visite de l’époustouflant musée que je vous laisserais découvrir par vous-même, on ne va quand même pas tout vous dévoiler en ces lignes…

Enfin, laissons le mot de la fin à Gainsbourg lui-même : « Je ne veux pas qu’on m’aime, mais je veux quand même… » Tout est dit.

Et demain est un autre jour…

 

Le site de la Maison Gainsbourg, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Serge Gainsbourg, là .

 

« Lemon incest » (avec Charlotte Gainsbourg) : Image de prévisualisation YouTube

« Requiem pour un con » : Image de prévisualisation YouTube

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

code

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

Archives