Jean-Jacques Goldman, le loser, la star, le symbole
Goldman un moment ou Goldman (Jean-Jacques) toujours ? S’il fallait une nouvelle preuve de l’intérêt intact suscité par un l’artiste entré en retraite de la scène depuis 2002 le flot médiatique accompagnant le livre de l’historien Ivan Jablonka le démontre. Habilement lancé en ce mois d’août l’essai consacré à l’auteur compositeur interprète de deux-cent-quatre-vingt-dix-sept chansons (dont cent-cinquante-cinq pour d’autres artistes et cinq pour cent d’inédites) et qui a vendu vingt-huit millions et demi de disques (troisième Français après Johnny et Sardou), propose un modèle hybride et stimulant, entre la biographie suivant la chronologie d’un succès étonnant et les considérations évoquant le contexte dans lequel Jean-Jacques Goldman a pu être considéré dans un sondage dès 2003 (Journal du dimanche) comme la personnalité préférée des Français. Rien de moins. Quand un quasi mythe se construit dans les années 1980 et 1990 pour revenir dans l’actualité à intervalles réguliers. Jablonka résume le parcours : le loser, la star, le symbole. Celui que désormais on ne voit plus mais que l’on écoute toujours.
L’historien professeur à l’université Sorbonne Paris Nord et auteur d’Histoire des grands parents que je n’ai jamais eus (2021) et du remarqué Laetita (2016), fan à titre personnel de Jean-Jacques Goldman, s’implique au passage dans sa démonstration, tout en conjuguant les vertus de la recherche. La démarche n’est pas si commune. Cela n’a pas empêché Jean-Jacques Goldman lui-même de se désolidariser du projet dans des propos cinglants rapportés par un journaliste du Canard Enchaîné. Non sans paradoxe : cet effacement, cette distance participe d’une estime pérenne dans l’opinion. Ivan Jablonka de son côté a réaffirmé les droits de l’historien à écrire sur un sujet, même sans l’accord de l’intéressé.
Ambition légitime qui s’impose dans un monde d’artifices et de communications appelées promotion. Sans recul. D’autant que le parcours de Jean-Jacques Goldman apparait comme inscrit dans celui de son, notre, époque. Incarnant le Zeitgeist des années 1985-1987. Le Goldman des débuts saisit par Aretha Franklin avant d’admirer Michel Berger et de se lancer dans des chansons en Français synthétise des influences diverses. Dont il est suggéré par l’historien que Jean-Jacques Goldman a écrit la bande son avec ses tubes et son style éloigné des extrêmes. De sa première apparition télévisée chez Michel Drucker (en mars 1982) à nos jours. En passant par ses débuts dans un ensemble jouant de la musique noire américaine dans une chapelle de banlieue parisienne et un premier titre en solo, en 1976 C’est pas grave papa où un fils rassure son père au chômage. En effet les jeunes générations reprennent volontiers sur scène et sur albums les chansons de l’auteur de Je te donne. Dernier exemple : ce 26 septembre 2023 une troupe de jeunes interprètes accompagnés de Michael Jones, ami de Jean-Jacques Goldman depuis ses débuts dans le groupe Taï Phong, reprennent l’héritage Goldman à Paris (au Dôme, Palais des Sports) avant de partir en tournée. Quelques-uns des tubes de Goldman s’invitent toujours dans les fêtes et rassemblements. De l’école (pour des cours de philo !) au cimetière (lors de funérailles) écrit l’auteur, les usages de Goldman sont multiples.
Impossible ici de résumer l’ouvrage. Ivan Jablonka s’attache notamment à détailler les thèmes au diapason de l’époque de son « guitar-hero » : le déracinement (Quand la musique est bonne), l’homme vulnérable (A nos actes manqués), les ruptures (Pas toi), la flânerie (Je marche seul), la condition minoritaire (Je te donne), l’hymne à la vie (Pas l’indifférence), le désir de mieux être (Au bout de mes rêves), la volonté de changer le monde (Il suffira d’un signe). Des thèmes évoqués tout en nuances. Ce qui n’a pas manqué de déchaîner des critiques féroces contre Goldman de la part d’une partie de la critique musicale. L’historien en dresse la liste noire et grise à la suite du chanteur lui-même qui avait publié en 1985 dans le quotidien Libération toute une page à ce propos. « Fade », « mièvre », « naïf », « propret » et j’en passe. L’historien ouvre alors la voie à une socio-histoire du mépris culturel… « Pour comprendre la culture de masse, facette incontournable de notre modernité ». Les lecteurs de NosEnchanteurs sont à même de participer à ces débats. On retiendra encore dans l’essai de Jablonka les nombreuses références au contexte politique de ces années Goldman où Coluche lance de son côté en 1986 les restos du Cœur en commandant à Goldman une chanson dédiée. Un parrainage artistes-associations qui se poursuit.
La saga se poursuit autrement. Jean-Jacques Goldman a écrit pour de nombreux autres artistes (dont Céline Dion, Khaled, Johnny Hallyday, etc.,). Quand ?, la dernière chanson connue de l’auteur-compositeur est sortie en novembre 2022 dans l’album du trio aujourd’hui séparé Trois cafés gourmands. Tout un programme en un manifeste citoyen pour un monde plus fraternel, dans lequel beaucoup se retrouvent. Fédérateur et décidément atypique, le Goldman nouveau ressemble bien à l’ancien. Goldman, madeleine de Proust des Français avec le répertoire le plus écouté à ce jour? A chacun de dire !
« Goldman » d’Ivan Jablonka, (La librairie du XXIème siècle). Seuil 2023
Deux sites de référence sur Jean-Jacques Goldman : le blog de Jean-Michel Fontaine et Là-bas, le site de François Picard et Bastien Canas. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Jean-Jacques Goldman, c’est là.
« Il suffira d’un signe », clip 1981 remastérisé 2009
« Envole-moi », 1984, concert 2003 repartagé en 2023
« »Ivan Jablonka de son côté a réaffirmé les droits de l’historien à écrire sur un sujet, même sans l’accord de l’intéressé. »
Dit-il, après les refus de nombreux proches de Goldman qu’il avait sollicités, c’est un peu faux-cul non ??
En quoi est-ce « faux-cul » ? On peut écrire sur quelqu’un sans son accord, et pour autant solliciter des témoignages des proches. Je ne vois pas ce qui serait incompatible. Il m’est arrivé d’écrire une biographie sur un artiste, et je n’ai pas procédé autrement : la garde rapprochée de cet artiste a refusé ou n’a pas donné suite. Mais ce livre existe, et existe bien, qui plus est avec beaucoup d’autres témoignages. Il n’est nul besoin de l’accord de l’intéressé pour écrire sur lui.
Dans un premier temps il veut faire une bio avec les proches et les témoins, puis quand ceux-ci déclinent l’invitation, il explique qu’il n’en a pas besoin .. Faudrait savoir …
Je ne vois pas le problème. Il se peut qu’il n’en ai pas eu besoin : un projet peut évoluer, c’est pas immuable. Et, au final, est-ce important ?