Michèle Bernard, en ce monde qui change de douleur
« Avec la tranche de ma main / J’ai cherché les miettes de pain / Sur la vieille table de ferme / Qui est ma vie… » Son précédent album remonte à il y a sept ans : une éternité. Il y eu certes, entre-temps, une anthologie, deux carnets de poèmes, l’enregistrement public d’Un p’tit rêve très court (en duo avec Monique Brun), celui de Tout’manières. Un grave accident (une chanson est ici consacrée aux soignantes du Centre de Réadaptation des Massues, à Lyon, où elle fut hospitalisée), un conte musical aussi (avec François Morel). Et son intégrale discographique fait de quatorze CD, plus de trois cents cinquante titres, ce n’est pas rien.
« Je me suis trompée de siècle / Le jour où j’ai débarqué / Dans ce monde où tout s’achète / Tout cuit tout préfabriqué… » Voici dix-neuf chansons toutes neuves, dont on ne perdra pas une miette : c’est du Michèle Bernard, dérisoire mais téméraire résistante dans un monde de plus en plus fou, connecté certes de puces à profusion mais déconnecté de tout bon sens, en grave déficit d’humanité.
Ça fait cinquante-cinq ans qu’elle nous chante ce monde qui va à vau-l’eau et précipite sa perte. À l’écouter, la lire (une intégrale de ses textes en livre, préfacée par Anne Sylvestre, sortira cet automne), on retrouve dans ses vers l’histoire de ce demi-siècle de défaites, d’amères désillusions, d’un temps de cerises déconfites. Avec toutefois une énergie, un fol espoir qui toujours dénote et réchauffe nos cœurs.
Depuis cette Vieille chèvre de 1978, si brave, si exploitée, le constat est resté le même, mais pire encore : « On pestait contre la misère / On défilait sous nos bannières / Contre la loi des exploiteurs / Et puis voilà que c’est la guerre / Le monde a changé de douleur ». À pas même un plein de kérosène de chez nous, les bombes pleuvent qui puent la haine, déciment un pays et tuent ses enfants : « Le manège bombardé tourne encore / Il tourne un peu de travers c’est la guerre c’est la guerre / Il tourne un peu de travers / Les chevaux trottent à l’envers ». Autre guerre encore, celle de la survie pour ces migrants en Méditerranée : « Je ne rêve plus du bleu de la mer / Des vieilles amphores des belles galères [...] C’est vous que je vois et notre naufrage ».
Désabusée, cette nouvelle livraison de chansons malgré, ici et là, des éclats de tendresse ? Oui : « Le monde est si noir, ma page si blanche / Je flanche ». Tant qu’au détour des plages, sous les pavés, l’artiste convoque à elle les Communardes. Qui « nuit et jour [...] montent la garde ».
Dire que ce disque est magnifique est peu dire. Venant de son auteure, ça ne nous surprend pas. Ça fait depuis toujours que Michèle Bernard est pur talent, engagement et totale dignité, que chacune de ses livraisons est au moins aussi précieuse que la précédente. La formule musicale est quelque peu différente, plus resserrée : c’est un trio qui officie ici avec la chanteuse, fait de Pascal Berne aux basse et contrebasse (aux arrangements et à la direction musicale aussi), David Venitucci à l’accordéon, Nicolas Frache aux guitares ainsi que le groupe Évasion aux chœurs.
Tout fait de cet album un des grands disques de cette rentrée.
Michèle Bernard, Miettes, EPM/MCA/Universal 2023. Le site de Michèle Bernard, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là. Sortie du CD le 25 août 2023 ; on le commande ici.
Avant même de rencontrer MIETTES, le nouvel album de Michèle Bernard, je partage cet article. Les mots de Michel Kemper pour NosEnchanteurs. MIETTES est là, tout près de moi, à la maison. Le rendez-vous est pris. Il accompagnera mon prochain voyage, imminent… ma petite auto et moi avons vraiment hâte ! Je vous encourage de tout cœur à goûter à ces MIETTES là…