Off Avignon 2023, Barjac 2023, les bleus à l’âme de Yoanna
Sauvé dans Catherine Laugier, En scène, Festivals, L'Équipe
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17 juillet 2023, 15h, Avignon à L’Arrache-Cœur
Yoanna aime à brouiller les pistes. Vous vous attendiez à la voir rugir comme une panthère en colère, provoquer le monde, attaquer les hommes, se faire amazone, sorcière même, faire peur. Envoyer dix idées à la seconde, rire sardoniquement, crier. Comme il y a quatre ans à Avignon. Dans sa carrière, elle a alterné les pamphlets féministes, les spectacles engagés pour enfant, les chansons de révolte et de peur, la pure poésie. L’intime et la rage. Elle, la sensible et la guerrière.
Si la plupart des annonces de concert nous préparent à la voir affronter les hommes, s’opposer sans retenue, celle de L’Arrache-Cœur nous annonçait de façon subliminale une surprise « Vous la devinez sincère, fragile, à fleur de peau. Vous la découvrirez aussi tendre, trempée et drôle ».
Ses facultés d’adaptation, elle les avait déjà démontrées en improvisant au pied levé un concert acoustique en 2021, lorsque l’orage l’avait chassée de la grande scène de Barjac. Et en 2022, à Avignon, elle avait déjà osé lever le voile sur ses ressentis intimes. Pour ce nouveau spectacle, elle a inversé le processus de création : plutôt que présenter en concert des chansons peaufinées en album, elle a souhaité faire vivre ses chansons sur scène avant de les enregistrer. Parce que ce qu’elle préfère, c’est le spectacle vivant. Si elle envoie encore des piques et des pointes humoristiques bien acérées entre les titres, c’est parce qu’une sorte de pudeur à l’idée de trop s’exposer la prend par moments. « Est-ce que ce n’est pas trop doux ? Nous demande-t-elle ». Oui, le vrai courage c’est peut-être, plutôt que de développer des idées, certes nécessaires et très actuelles, dans des chansons engagées provocantes, d’oser être soi-même, de casser les a priori, d’être un individu à part entière, d’imposer sa façon d’exister sur la terre, d’être là où on ne l’attend pas. Tant pis pour les rageux déçus de ne pas retrouver des coups de gueule frontaux.
Elle, elle prend tous les risques en ne présentant que des chansons nouvelles. Pas une ancienne pour réveiller les vieux réflexes de reconnaissance. Une poésie sans barrières, sans rails. Un spectacle hardi, sur le fil tendu prêt à se rompre, au creux de la vague qui va vous emporter. Ne vous inquiétez pas pour autant, elle vous fera rire et vous pincera toujours là où ça fait mal, mais pour vous faire réagir dans le bon sens. Et puis, il y a quelque chose qui vous remue au fond de l’âme, c’est cette complicité avec Mathieu Goust, cet échange incroyable de regards. Lui est aussi à l’aise à la batterie qu’aux machines, aussi à même de calmer ses angoisses que d’encourager ses audaces, aussi prêt à rire aux bons mots qu’à faire le dos rond aux colères. Il est le calme quand elle est tempête. Elle, n’est plus seulement une femme en revendication, mais un être humain total non déterminé par le genre ou la classe. Avec toutes les possibilités.
« Je suis comme une sirène au large / Comme une amure qui te rend barge », c’est en poésie que Yoanna nous dit qu’elle est toujours dangereuse. « J’ai une furieuse envie que ton regard me touche / Qu’il me brûle, qu’il me morde sans me faire de reproche ». L’accordéon suit pas à pas chaque mot, discute comme une seconde voix, répond, confronte l’aveu « Je suis fragile, tu es de glace ».
Voilà la femme libre qui assume son désir. Elle y reviendra plus tard « Il est une île au creux de mes reins (…) au large de mes envies (…) sous les orages sous mes tempêtes ». Une liberté rarement revendiquée, pourtant tant qu’on ne parle que de consentement pour la femme, on n’a pas une relation, juste un contrat. Peu de messages dans ce spectacle, fait de sensations pures, « J’ai les yeux qui tremblent / Le souvenir qui grelotte », de cris du corps et de l’âme, dans une lumière d’eau, de sueur et de larmes, de marées et de crabes sous le tranchant des lames des pêcheurs, de mots qui craquent et qui claquent, de marées qui montent, d’obsolescence et de chemins de traverse.
Ne croyez pas Yoanna lorsqu’elle vous annonce un concert chanson, couplet refrain couplet, pas un spectacle. Ce que vous allez vivre est une expérience indescriptible. Tout au plus peut on évoquer une performance, un opéra rock, un ballet japonais avec ce mouvement de jambe dans le pantalon large qui évoque le combattant prêt à sortir son katana. De longs happenings de tension douce et pourtant d’autant plus forte, en crescendo palpitant au sens propre du terme, surprenant, grinçant, qui vous saisit aux tripes et au cœur, vous envahit sans espoir de fuite. On n’en sort pas indemne. De la poésie pure, dans une sublimation du texte et de la musique .
Pourtant le calme revient, au son des vagues qui clapotent, de l’accordéon qui gémit comme un bag pipe oublié sur la grève. « Sans regarder le fond… Nager à contre-courant … Jusqu’à l’autre rive… En perdant le souffle…Plonger dans le chaud dans le froid… Jusqu’à toucher le fond de toi… Sortir de mon corps ». Et comme pour désamorcer ce trop plein d’émotion, un lâcher prise en duo sur la batterie. Renversant.
Le site de Yoanna, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là. Yoanna était du 7 au 29 juillet à Avignon (sauf les mercredis) puis le 3 août 2023, 21h30 à Barjac Espace Jean Ferrat, sur la grande scène du château, avant Kent. De la mer à la terre.
Pas de chansons en vidéo ou en spectacle, mais un parcours apéritif à l’eau salée :
« Le vieil homme et la mer »
« Terremer »
« Les feux du large »
et quelques commentaires :
« Le loup des mers »
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