Lisa Ducasse : le poids de la plume
3 août 2023, Festiv’Allier, Langogne (48).
Est-ce le vent levé de l’Allier qui glisse de légers frissons le long de la jambe ou bien le délié des mots, nus du piano, qui prennent le temps d’atteindre nos peaux ? A-t-elle ce même frisson, Lisa Ducasse, frêle et solide, orteils soulevant le rythme, quand elle chante ?
Sur la petite scène plein air d’un jardin de Langogne, celle qui a fait ses armes au spoken word dans les caves de Paris, en impose. En impose de douceur, sans fragilité aucune.
On pense à Pomme dont elle a d’ailleurs fait la première partie, il y a peu. On pense à Coline Rio, dont elle a également fait la première partie il y a peu. Après tout, « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des boucles », nous glisse Lisa avant d’entonner vers la fin Les Vieux Amants en créole mauricien, une adaptation de son père poète, Michel Ducasse.
Il faut dire que « la vulnérable et l’indomptable » comme elle se décrit, n’est pas née de la dernière pluie insulaire : deux parents écrivains, une carrière en poésie et en traduction anglais-français, trois langues maternelles… le mot et la voix la tissent. Note, silence, mot – chacun est pesé. Une force sobre, délicate et maîtrisée qui nous fait glisser la tête, nous public, dans nos transats, dans l’herbe, sur les bancs ; et clore les yeux, pour mieux déguster cette douce heure, de la caresse aux résistances, de la tendresse aux doutes. On écoute…
« J’ai un peu le cœur à la rade / Et dis : “c’est quand l’équinoxe /quand est-ce qu’on s’embarque pour des raz-de-marée /pour écumer nos paradoxes” » – La matière, c’est elle et ses départs, dont celui-ci, récent et prégnant, pour l’Amérique du Sud. Des chansons qui voyagent bien au-delà et en deçà, contre la fuite des jours, à travers la peau des miroirs, le long de quelques gouttes de café, sur le fil du faux raccord encore, dans les bras des rivières qui courent aussi.
Il n’y a pas assez de mes deux mains pour noter tous ces « bons mots », devant cette précision et le singulier des images, que l’on sent tantôt infusés d’une Anne Sylvestre (ces gens qui doutent), tantôt d’un Bashung (ce vertige du trapèze) – qu’elle reprend d’ailleurs en douce, en douceur, dans un vacillant Montevideo.
Il y en aura d’autres, des fulgurances, notamment sur Val Paraiso et son rythme soufflé et soufflant, voix qui s’envole ou s’estompe; ou encore animée tout entière sur la fin de L’essor, ce texte slamé dont le phrasé est un collier, et qui coule jusqu’à nous.
Ménageant le phrasé à la perfection, on ne peut que constater le poids de la plume de la toute jeune Lisa Ducasse, une poète déjà bien installée en chanson, alors que son premier EP n’a même pas encore vu le jour ! Peu étonnant, donc, qu’on ait pu la voir dernièrement dans de prestigieuses premières parties (Arthur H notamment) ou sur de prestigieuses scènes comme la Maison de la poésie…
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Lisa Ducasse travaille présentement aux côtés de Guillaume Poncelet (Ben Mazué, Gaël Faye mais aussi Nougaro, MC Solaar et bien d’autres) à la réalisation de son album, dont la sortie est prévue pour avril 2024.
Son Facebook, c’est par ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.
« Qui sont » clip 2022
« La chanson des vieux amants » en créole, Saint-Eustache 2023
Il va être difficile de commenter tous vos excellents articles! Mais je m’autorise de le faire encore pour celui ci consacré à Lisa Ducasse. Une fois de plus la plume brillante d’Agnès André restitue ce moment magique que nous avons vécu à Langogne. Tous les articles qu’elle à consacré à ce merveilleux festival sont un beau témoignage de cette édition 2023.