Claire Gimatt : essayons donc pour voir !
Festiv’Allier, 2 août 2023, parvis de l’église de Fontanes (48),
Oui, essay[ons] donc pour voir – de raconter des contes fantastiques en chanson. De faire danser en dedans et en dehors. De braver le petit crachin de l’Allier qui se met à crépiter. Et de finir le concert entièrement a capella dans l’église… Tout cela est possible avec Claire Gimatt, discrète et puissante.
On savait bien depuis 2021, à la sortie de Sorcières – un album remarquable et remarqué, autant par NosEnchanteurs que Télérama ou Hexagone –, le danger qu’il y avait à se retrouver à la lisière des mondes métamorphiques et mélismatiques de la détonante andalouse.
Pourtant, rien dans le décor premier ne laisse entrevoir l’extraordinaire qui se profile : la scène est modeste, le public un peu chahuteur de très jeunes futurs adeptes (on espère) de chanson, et l’interprète sans apparat sinon sa voix, puis clavier et chœurs enregistrés de sa version trio [aux côtés d’Élodie Poirier et Amélie Michez].
Mais là : que se passe-t-il ? Les enfants se sont progressivement tus. Une jeune femme qui, il y a cinq minutes dodelinait de la tête yeux fermés, se lève soudain et sous le grand tilleul en vent, se met à danser. Une odeur d’asphalte mouillée monte – « Et le son attendu gorgé longuement retenu a explosé en migrant vers les profondeurs. Le bruit de la pluie a éclaté en sanglot ». Même cette interruption qui oblige l’assemblée à se rapatrier dans l’église attenante ne brise pas le mouvement qui, crescendo, par la profondeur de sa voix mûrement travaillée à la tradition du flamenco et les pauses ménagées par les intermèdes racontés, s’est emparé de nous.
« [Notre] cœur en émoi / frémit d’impatience, [nos] flammes crépitent » ; la matière est organique, de la voix légèrement rocailleuse au décor, de nous à elle, des mots au corps : sous le regard des vieilles pierres et du Jésus sur sa croix cloué, l’écoute est… religieuse. « Même sur le bûcher nous chanterons » : aurais-je cru un jour fredonner des chœurs de Sorcières entre autel et bénitier ? Il faut croire que nous sommes tombés dans le tableau – du Dalí de la chanson, ou de la chanteuse elle-même, allez savoir !
Et puis quoi ? « [On] s’en fiche, car dedans c’est vivant » ! À la sortie, certains prolongent la voix, restent à chanter dans l’église; les autres (spectateurs et trices plus ordinaires) avalent les albums de l’ensorceleuse autrice-compositrice-interprète. Deux cents personnes à la jauge et dans l’air le frémissement de deux cents corps. « C’est somptueux », glissera Émilie, la danseuse de plus tôt. On n’aurait mieux su trouver le terme pour croquer ce concert en un vocable.
Moi qui crois d’ailleurs au pouvoir des mots – et à leur matérialité –, je n’aurais pensé qu’il serait possible de les voir prendre vie à l’intérieur de soi. Mais si. Tout est possible avec Claire Gimatt.
Essayez donc pour voir…
Claire Gimatt, artiste labélisée Réseau Chanson Occitanie (2021), prépare actuellement son prochain album prévu pour 2024. Son site, c’est par ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est par là.
Bravo pour cet article si bien écrit! Il résume de fort joli façon la prestation magnifique de Claire Gimatt. Je lis nos enchanteurs depuis ce festival de Langogne 2023 où j’ai pu rencontrer Agnès André et j’apprécie désormais son écriture qui valorise tellement bien l’art de la chanson, à l’image de tous vos journalistes et contributeurs. Merci.