Louis Aragon, le musicien des mots
Petit à petit, la collection NosEnchanteurs, éditée par EPM, s’étoffe et prend des allures de discothèque idéale. C’est que Michel Kemper et Catherine Laugier, à la tête de la petite entreprise, ont le goût sûr et l’oreille curieuse pour nous dénicher à chaque fois un éblouissant lot de perles méconnues (et parfois même inédites : où vont-ils donc les chercher ?).
Disponible depuis mai, le cinquième volume de cette réjouissante initiative permet, une fois encore, d’allier poésie populaire et plaisir de la découverte. Après Gaston Couté, Georges Brassens, Bernard Dimey et Léo Ferré, voici donc Louis Aragon, chanté à vingt reprises par autant d’artistes différents. Vingt belles occasions de (re)partir à la rencontre du poète disparu.
Il faut dire que les écrits d’Aragon se prêtent particulièrement bien à la mise en musique, tant l’homme avait ce sens du rythme qui caractérise les grands paroliers. Léo Ferré ne s’y est pas trompé, lui qui consacra dès 1961 un disque entier au poète. Jean Ferrat est assurément l’autre artiste ayant le plus œuvré à la popularité de l’écrivain, ayant chanté nombre de ses poèmes entre 1963 et 1969 (regroupés dans l’album compilatoire Ferrat chante Aragon paru en 1971) et lui ayant par ailleurs entièrement dédié son ultime œuvre discographique, intitulée Ferrat 95.
Inévitablement, on retrouve parmi les titres choisis certaines de ces chansons, devenues des incontournables, des classiques de la chanson française. Vous avez une préférence pour Ferré ? Retrouvez L’affiche rouge, reprise avec émotion par Cello Woman, Il n’aurait fallu porté aux nues par la voix claire de Louis Capart, L’étrangère (popularisé jadis par Yves Montand) tout en swing manouche par Sanseverino, ou encore l’étonnante version électro-jazz-rock de Je chante pour passer le temps d’Antoine Sahler. Vous kiffez Jean Ferrat ? Il est présent par l’entremise lyrique du Trio Ayonis (pour Aimer à perdre la raison), de Paule-Andrée Cassidy (frémissant J’entends j’entends), de Michel Avallone et son accent chantant (Un jour, un jour) ou d’Eric Laurent (magnifique J’arrive où je suis étranger).
Croire qu’Aragon n’a été mis en musique que par ces deux géants de la chanson serait toutefois une grave erreur, et l’écoute de ce recueil vous en ôtera l’idée à jamais. Découvrez ainsi Sébastien Guerrier, chantant le poète à la manière d’un Mathieu Boogaerts, le suisse Jérémie Kisling au romantisme discret, ou l’inconnu Pierre Grammont qui fait sonner La rose et le réséda comme une ballade du temps jadis. A moins que vous ne préfériez le classique Jacques Bertin et son Les Ponts de Cé millésimé 1967, La guitare du belge Ivan Tirtiaux ou le piano de Véronique Pestel (poignante Complainte de Pablo Néruda) ?
Vingt artistes. Vingt styles. Vingt morceaux. Tous ne vous plairont pas forcément. Tous méritent pourtant votre écoute et démontrent combien le poète Aragon est aussi un formidable auteur de chansons. D’ailleurs, tout auréolé de gloire soit-il, une grande part de sa notoriété est assurément due aux multiples chanteurs et chanteuses qui ont œuvré à la propagation de sa parole. Ce beau CD en est une preuve supplémentaire.
Louis Aragon, J’entends j’entends, EPM, 2023. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Paule-Andrée Cassidy « J’entends, j’entends » :
On le sait peu, mais Pierre Barouh a lui aussi mis en musique un poème d’Aragon: « Les amants de la place Dauphine« .
Cette chanson, interprétée par Françoise Kucheida et lui-même, figure sur le premier disque de cette interprète: « De la Scarpe à la Seine« . C’est peut-être à cause de sa durée (sept minutes) qu’on ne l’a quasiment jamais entendue à la radio.
Le disque obtint le grand prix de l’Académie Charles Cros l’année de sa sortie.