Off Avignon 2023, Nicolas Fraissinet, l’enfer et le paradis
Off Avignon 2023, 11 juillet, l’Arrache-Cœur
Le franco-suisse Nicolas Fraissinet se fait rare en France, aussi a-t-il fait partie en premier de ma sélection lorsque j’ai pris connaissance du programme du Off 2023. Évidemment pas seulement pour sa rareté géographique. Fraissinet fait partie des talents les plus originaux de la chanson francophone, même si on ne lui tend pas toujours le micro sur nos ondes nationales. Il allie piano-voix et boucles électroniques d’une façon tout à fait naturelle, son expression est aussi moderne que lyrique, aussi rock – une de ses premières chansons était une reprise de Noir Désir – que classique, ses sujets sortent des sentiers battus et il les traite avec talent, le talent d’un écrivain qu’il est aussi. Un univers riche qu’il traduit aussi en vidéos, accompagnant chaque chanson de son dernier album, « Des étoiles dans les yeux », en miroir du livre éponyme, une quête de sens (propre!) pour un jeune homme qui va devenir aveugle.
Dans ce concert c’est à un voyage dans tout son répertoire, complètement renouvelé, remis en scène et en musique que nous sommes conviés, dans un accord organique complice entre son piano et le violon virtuose de Rosalie Hartog, qui, comme Fraissinet, est une multi-douée : cinéma, violon jazz, tzigane ou classique, chanson (elle écrit et compose), rien ne semble lui échapper. Avec cela beaucoup de présence scénique, une douceur et un sourire franc et massif.
Une rapide écoute des chansons de Nicolas Fraissinet, combinée à sa voix douce et grave, suave le plus souvent, ses yeux de porcelaine et son physique élégant, chemise fleurie et gilet, mitaine noire à la main gauche pour mieux suivre son jeu sur les touches, en amazone sur son tabouret de piano pour garder constamment contact avec le public, pourrait laisser penser que nous avons affaire à un jeune premier à l’allure de chevalier servant.
Pourtant tout son répertoire reflète la dualité de son inspiration, et dès la première chanson des paroles sulfureuses remontent à la surface… « Je découvre l’intérieur de ta doublure / Regarde-moi par le trou de la censure (…) Déshabille mon corps de ses ceintures ». Ce titre de 2015 ne s’intitule-t-il pas Voyeurs ? La douce mélodie, le piano guilleret et le violon léger déguisent subtilement la chanson d’origine à l’ambiance rock beaucoup plus inquiétante, d’ailleurs illustrée par le Jardin des Délices de Jérôme Bosch, vu par un trou de serrure, où se côtoient plus sûrement l’enfer que le paradis. Fraissinet a beau nous égarer dans des anecdotes de canicule à Avignon, il semblerait que ses propres chansons puissent être assez chaudes également, ne pas se fier à la réputation de froideur des suisses !
Ce poulpe qui vit en arrière, à l’envers, n’est-il pas le symbole de la liberté de ceux qui suivent une autre route que la majorité ordinaire ? Et que dire de cette chanson où il chante en boucle avec lui-même ce « duo entre moi et moi » : « Je danse dans mes airs / Au bord de mes abîmes bipolaires ».
C’est tout cet aller-retour qui fait le prix de ce récital où l’on ne s’ennuie jamais. Des chansons mémorielles (celle de nos pères), ou d’amour « son seul orient » pour retenir le voyageur, un message de tendresse à une sœur, Quelques mots de ton frère – avec toujours cette menace en arrière-plan, « Si la vie touche à cette sœur-ci, tout mon bonheur est en sursis. », sur des mélodies d’une beauté renversante. Et des incursions dans un monde plus équivoque, où les fantasmes ont la part belle – Tout l’album Métamorphoses en fait tisse la toile de cette vénéneuse araignée du soir – et Sirène, du dernier album , se fait addictive danse du diable où le violon joue la sarabande, illuminée de rouge.
Fulgurance de l’écriture, perfection des arrangements où les boucles électro élargissent le champ, le chant des instruments aussi, au lieu de les remplacer par défaut. Silence « Le silence un ange passe et nous laisse / Une absence en guise d’allégresse », neuf ans plus tôt presque latino, se métamorphose en sublime concert classique introduit par le long solo de violon. Ajoutez à cela le lien que les deux artistes arrivent à créer avec le public, et vous saurez que vous allez passer un moment inoubliable. La chanson en rappel parle pour nous : Reviens !
Nicolas Fraissinet et Rosalie Hartog, « Cordes sensibles », 16h50, jusqu’au lundi 17 juillet 2023, l’Arrache-Cœur salle Boris Vian, 13-15, rue du 58° régiment d’infanterie (tel:+33 9 85 09 97 42)
Le site de Nicolas Fraissinet, c’est ici. Le site de Rosalie Hartog, c’est là. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Nicolas Fraissinet, ici.
« Quelques mots de ton frère », clip
« Pensées poulpes » en duo avec Rosalie Hartog
Je partage toutes ces louanges ….