Thomas Pitiot : cet ami qui a la patate
J’ai bien conscience, là, que je mords allègrement sur la rubrique « jeune public » de mon collègue Nicolas Céléguègne, mais que voulez-vous : j’ai toujours pensé que, même dans un répertoire destiné aux bien plus jeunes que nous, Thomas Pitiot faisait dans la chanson pour tous. Et que de toute façon, une bonne chanson pour enfant pouvait, devait, s’écouter même jusqu’à cent sept ans. Du reste, fouiller les mots de Pitiot, sans être l’enfance de l’art, c’est aussi trouver d’autres pistes, suspecter d’autres possibles significations.
A défaut d’en gagner beaucoup, ou seulement par intermittence, Pitiot cultive les patates, sous-traitant qu’il semble être d’Agathe. Agathe ? Oui, la reine des patates, celle qui fait « des frites, des pommes sautées, des tortillas et d’la purée » et mange « des chips et des gnocchis, du gratin et puis du hachis ». Sur le livre-livret, le texte est en page de gauche : à droite, c’est l’illustration et c’est vrai qu’Agathe a visiblement la patate. Ce livre-CD est fait comme ça, avec les superbes illustrations d’Amandine Bourbon-Toulan « qui font voyager les mots et les musiques d’un imaginaire à l’autre » : de l’élégant boulot.
Bon, ce très beau livre-disque n’est pas qu’un traité de patatologie encore moins une prescription de patatothérapie : le papa qu’est Pitiot, à force d’observer sa progéniture, explore quelques autres préoccupations essentielles qui, hors les artichauts et le piment, hors le fait que Papa finit toujours dans l’assiette, ne fait pas que dans l’alimentaire.
En fin limier, la truffe à toujours humer l’air du temps, l’inspecteur Pitiot doute de certaines vérités. Pour son public bien plus âgé, il douterait de Dieu ou de la probité chez nos ministres, de l’abnégation des laboratoires pharmaceutiques et de la virginité de Marie. Là, pour les mômes, il se dit, dubitatif, Mouais, mouais à l’évocation de la p’tite souris, celle qui met deux balles à chaque dent perdue, dix pour un dentier entier, du Père Noël et du marchand d’sable, des cloches de Pâques aussi. Pitiot est un méchant qui sape nos sacro-saintes traditions et dérisoires mais tendres croyances. Anarchiste et brise-rêves, le Thomas ? Non, car ce monsieur qui chante est un ogre de pure poésie, qui célèbre aussi les dessins sur les murs (pas une seule fois le mot « tag » ne figure dans sa chanson), et nous parle d’éléphant, de méduse et de panthère. C’est un poète, un incorrigible rêveur : « Mais pourquoi la vie est si dure pour un rêveur / Mais pourquoi le monde avance à cent à l’heure ? » Surtout un porte-parole fidèle de nos enfances, de la sienne et des siens.
Bon, c’est du Pitiot et, gosses ou grands enfants, il ne change pas d’orientation musicale. Plein d’instruments, des rythmes colorés qui ont la pêche, du cuivré à souhait, qui au moins pour les patates délicieusement balance reggae ou rock’n’roll. On s’imagine les mioches qui, en classe ou dans leur chambre (et leurs aïeux dans les Ehpad, aussi sûrement) vont s’éclater dans d’improbables danses : c’est chouette et, en plus, ça entretient la forme !
Le précédent album jeune public de Thomas Pitiot, Allez jouer dehors, remonte à il y a sept ans. Ce nouvel album nous donne en prime des nouvelles de sa famille, qui me semble-t-il s’est agrandie : ça nous le rend plus encore familier. Comme un tonton qui nous donne des nouvelles de ses rejetons. De belles, douces et grandes nouvelles !
Thomas Pitiot, La Reine des patates, L’Océan nomade/L’Autre distribution 2023. Le site de Thomas Pitiot, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
En concert du 11 au 25 juillet 2023 (sauf les dimanches 16 &23) à 11h10 au Off d’Avignon au Totem, 20, avenue Monclar, Salle Bleu lavande, scène conventionnée Jeune Public, de 5 à 12 ans (et plus si affinités)
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