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Les Ferré de l’arène

FERRE Léo 2023 Pour tout bagage_couv_edited 2Trente ans déjà ! C’est le 14 juillet 1993 que Léo, le Français toscan de Monaco, selon la belle formule de Romain Didier, a dit basta à la vie, laissant ses admirateurs constater tristement que sans lui, il n’y avait décidément plus rien ! Un anniversaire « rond » ; comme l’industrie du disque les apprécie, qui ne paraît pourtant pas augurer de nombreux hommages. C’est que, même six pieds sous terre, Léo Ferré reste un artiste difficile à appréhender. Que retient-on de lui à présent ? Un chanteur rugueux à la poésie folle et âpre, à tendance hermétique ? Un musicien souvent porté à l’emphase et à la grandiloquence, bien que par ailleurs mélodiste hors pair ? Un saltimbanque aux cheveux en bataille, osant tous les excès dans ses interprétations ? Un maître intouchable, qui a porté la chanson à de tels sommets que toute réticence à son égard ne peut qu’être négligeable ?

Pour nous permettre de faire le point, E.P.M. enrichit sa collection NosEnchanteurs d’un ouvrage essentiel, avec, dans les bacs depuis peu, cet épatant double CD intitulé Léo Ferré – Pour tout bagage… Un bel ouvrage, à même de séduire tant les aficionados de l’impétueux anar que les simples curieux souhaitant le découvrir.

FERRE Léo 2023 Pour tout bagage 1Au menu du premier disque : dix-sept titres chantés par autant d’artistes, survolant le répertoire du maestro. Nous sommes toutefois loin ici des « tributes » comme les goûtent les majors, où une foule de chanteurs (toujours les mêmes !) s’empressent de reprendre les morceaux les plus connus, n’offrant souvent à l’auditeur que le strict minimum en matière d’inventivité et de conviction. Les reprises de ces CD proviennent en effet, pour la plupart, d’un album déjà publié, même si l’on y trouve également quelques inédits dénichés par Michel Kemper, directeur de la collection, et Catherine Laugier, tête chercheuse infatigable. L’admiration qui a poussé ces artistes à emprunter la voix Ferré n’est donc pas de circonstance.

A quoi bon vous citer tous les noms des participants à cette fête musicale ? Des artistes connus y côtoient de bien moins célèbres, mais toutes et tous valent une écoute attentive. Quant aux chansons reprises, guère de tubes : pas de C’est extra au programme, par ex., tandis qu’Avec le temps y figure certes, mais dans une version en arabe ! A la place, des chansons solides, sentant parfois bon l’époque post-68 de leur création, que l’on découvre avec ravissement.

FERRE Léo 2023 Pour tout bagage 2Même topo pour le second disque de l’ouvrage, quatorze voix différentes venant s’ajouter aux dix-sept du premier disque. Mais, et c’est ce qui fait l’originalité de l’opus, pour une seule et même chanson : la célébrissime La Mémoire et la mer. Peut-être pas le morceau le plus populaire de Ferré, mais assurément le plus admiré, le plus disséqué, le plus énigmatique. Une chanson à clés dont les quatorze écoutes successives ne permettent pas d’épuiser le mystère. Une poésie puissante portée par une mélodie imparable, à laquelle il faut s’abandonner sans chercher à tout prix à en saisir le sens.

CD FerreNe croyez cependant pas qu’écouter ce deuxième disque d’une seule traite relève du masochisme : la multiplicité des univers musicaux est telle que l’on n’a nullement l’impression, en fin de compte, d’avoir entendu le même morceau une heure durant. Toutes ces versions ne vous plairont sans doute pas, mais qu’importe. Quelle que soit la sauce qui l’accompagne, La Mémoire et la mer est une immense chanson qui s’adapte à toutes les époques et à même de traverser le temps sans perdre de son aura.

Alors, Ferré, 30 ans après, ça donne quoi ? Ça donne avant tout un immense auteur-compositeur de chanson. Ceux – il y en a – que Léo Ferré lui-même exaspère (ses tics, son côté donneur de leçons, ses pompeuses orchestrations pour grand orchestre…) pourront (re)découvrir son œuvre en faisant abstraction du personnage, et se rendre compte ainsi de son talent hors normes. La trentaine d’artistes réunis dans ce double CD les y aideront.

 

Léo Ferré, Pour tout bagage…, EPM, 2023 Pour se procurer l’album, c’est ici. 

Le site de Léo Ferré, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

Sapho, « Avec le temps » en arabe au Cabaret sauvage, INA 2015 Image de prévisualisation YouTube
François Puyalto, « La mémoire et la mer » en concert à la Manufacture chanson, 2021 Image de prévisualisation YouTube

 

LÉO FERRÉ ET LA BÉDÉ

355892102_1357291161800782_2058738615552027428_nVous voulez tout savoir de la vie de Léo Ferré sans vous farcir pour autant une copieuse biographie ? Une solution aisée s’offre à vous : Léo, ni dieu ni maître, une bande dessinée signée Pascal Boniface (à la plume) et Lukino (au pinceau). Un livre rigoureux, qui retrace la vie du chanteur, de son enfance à Monaco à son décès en Toscane : ses débuts difficiles, ses déboires conjugaux, son amour pour les grands poètes qu’il met en musique pour en faciliter l’accès, son succès populaire dans la France d’après 68, ses disputes avec le show-biz… Un survol d’une vie bien remplie, mettant en avant les événements qui ont pu le pousser à écrire tel ou tel titre, soulignant le caractère entier du bonhomme, son innovation dans la chanson (le slam lui doit beaucoup) et sa légitime ambition. Bien documenté, bichromé de rouge et de noir (logique avec un tel sujet !), peut-être trop sage dans sa construction chronologique (ne raconte-t-il pas l’existence d’un anarchiste patenté ?), le livre se parcourt avec plaisir et curiosité et permet assurément de mieux connaître l’homme derrière l’artiste.

Pascal Boniface et Lukino, Léo, ni dieu ni maître, Editions Dunod, 2023.

 

356288185_1309676732968615_1008299698940808255_nBien moins convenu est le dossier qu’Hexagone consacre au maître chanteur dans son numéro d’été. La revue innove en effet en confiant le soin à Piérick, son dessinateur attitré, de nous délivrer sa vision de l’artiste. Quatorze pages pleines d’humour, d’amour et d’autodérision par un ancien Ferréomane. Une réflexion personnelle et pertinente sur la chanson en général et la place que Léo Ferré y occupe. Notre anar en ressort plus vivant que jamais, même si le dessin de la couverture donne l’impression de sortir d’un cortège de zombies digne de Walking dead.

 

-Par Pol de GROEVE

Une réponse à Les Ferré de l’arène

  1. Claude Frigara 6 juillet 2023 à 9 h 54 min

    Malheureusement, dans ces deux ouvrages, on étire le trait jusqu’à sinon la caricature du moins la simplification.
    Certes, il faut bien plus qu’une BD ou qu’une revue pour dire un tel artiste. « Vulgariser » d’accord, si ça peut amener des lecteurs à explorer…

    Répondre

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