Yves Duteil, avec le temps, de l’intime à l’universel
Quand le temps a fait son œuvre il laisse apparaître ce qui n’était aux premiers temps qu’effleuré. Pour marquer ses cinquante (premières !) années en chansons, Yves Duteil propose une intégrale sous la forme d’un élégant coffret de seize CD, « Chemin d’écriture », et un volume regroupant les textes des quelque deux cents chansons à son actif. Du premier 45 tours Virages (1972) jusqu’au dernier album Respect (2018). Avec en bonus des textes inédits non enregistrés. Le tout présenté chronologiquement. Choix justifié par l’évidence : « Reflets de période d’existence semblables à la vie, qui passe sans transition de la tristesse à la joie, du réel à l’imaginaire, d’une épreuve à une belle rencontre, d’une évocation du passé à un instantané de tendresse ou à un cri de révolte, et dépose, sur l’injustice qui blesse, des mots d’amour qui consolent ». Comme des chroniques qui marquent l’humeur des jours.
« Je suis sorti des autoroutes de ce métier pour tracer mon chemin singulier » assure l’auteur, compositeur né en 1949. Dieu sait toutes les étiquettes collées au fil des décennies sur le compte d’un artiste victime un moment d’une sorte « d’arrêt sur image ». Celle du gentil saltimbanque, jouant sur les cordes sensibles. Ce que résumait une chanson de 1987 : « Je suis le gentil troubadour / Le bûcheron de la chanson / Le fermier du 45 tours / L’écolo du microsillon…Je fuis les modes et les modèles…Mais j’aurai beau dire et beau faire / Pour me montrer tel que je suis / Je crois qu’au bout de ma carrière / Et jusqu’à la fin de ma vie…Je resterai le troubadour, etc.» Et le chroniqueur est souvent tenté à son tour de justifier son choix de retracer un parcours marqué par le mot …liberté.
Preuves à l’appui voilà qu’à l’écoute de cette intégrale, Yves Duteil apparaît tel qu’en lui-même : amoureux des mots et des genres musicaux où se rencontrent l’esprit de Brassens, les accents brésiliens, la pop des Beatles, l’acoustique et le poétique. De l’intime (nombre de chansons évoquent Noëlle sa femme, et des proches) à l’universel, le chemin d’écriture d’Yves Duteil se révèle riche en paradoxes et sujets abordés. Il y a bien sûr les tubes, comme l’inoxydable Prendre un enfant (1977) ou l’hymnique La langue de chez nous (1985) dédiée à Félix Leclerc. Que de chansons entrées dans les carnets de route des amateurs de rimes, de mots justes et de bonne compagnie. En bon artisan Yves Duteil maîtrise l’art de la chanson créatrice d’émotions. Ces deux cents messages personnels au départ se sont ouverts au grand large. Le marcheur a su évoquer les étapes de son périple et s’inquiéter de l’horizon commun. Avec cette touche de douceur et de bienveillance assumées qui le caractérisent. Tout en suivant la feuille de route tracée en sa présence par Félix Leclerc : « Un poète qui ne dérange pas ne sert à rien. »
Son œuvre se partage entre trois grandes thématiques : l’amour, le monde qui l’entoure et l’enfance. Sur ce dernier point l’ami Nicolas Céléguègne vous en dit plus (ci-dessous). C’est notamment en survolant « le monde qui l’entoure » que l’intégrale se révèle précieuse pour nous rafraîchir une mémoire qui flancherait. Ainsi le titre L’autre côté (1990) évoque la chute du mur de Berlin. Une chanson interdite d’antenne pendant la guerre du Golfe, car il ne fallait pas évoquer les conflits armés. Ou encore le plaidoyer démocratique Le silence et la vérité (1987) et la pacifiste Sur une mappemonde (1983). Sans oublier Aller simple pour l’enfer (1997) centrée sur les méfaits des addictions. Rendez-vous avec l’histoire (Dreyfus), en 1997, les attentats de novembre 2015 (Armés d’amour, en 2018), les souffrances des peuples opprimés (La Tibétaine), la même année et les violences faites aux femmes (Où vis-tu Pauline ?), en 2008. La liste est longue de ces chansons qui s’intéressent au fil du temps présent. Le chroniqueur bruxellois Bruno Tummers souligne, dans son introduction au volume des chansons, comment à partir des années 1980 l’écriture d’Yves Duteil s’est complexifiée. Côté musique, le compositeur venu, enfant, par l’apprentissage du piano, a choisi ensuite la guitare, calquée sur son jeu de piano. Avec le souci de traduire l’harmonie qu’il veut célébrer et la complexité des accords pour le traduire. « De poète bucolique, il est devenu chanteur concerné » poursuit le chroniqueur.
« La chanson est un art de mineur…de fond » écrit encore Yves Duteil dans son commentaire. « C’est portée par l’oreille qu’elle trouve le chemin du cœur. C’est la voix qui berce, le chant qui accompagne les naissances, les combats, les victoires, les fêtes et les défaites » poursuit-il. En exégète de son chemin d’écriture il reconnaît que les chansons se soucient finalement de remettre le monde à l’endroit. « Plus l’âme humaine révélera sa face sombre, plus la beauté rayonnera comme un horizon nécessaire…J’ai compris que ma place était celle de notre rêve ultime….Une partie de ma vie à rêver, une partie à construire ce rêve pour montrer qu’il existe. L’espérance est en marche et rien ne l’arrêtera. Je suis de ce camp- là. Rebelle au désespoir. »
-Robert MIGLIORINI
Yves Duteil et l’enfance
Dès son premier disque, Duteil s’est adressé à l’enfance à travers ses chansons : la sienne, toujours en filigrane, en pudeur et sans pathos. Son répertoire contient de vrais bijoux d’écriture que d’aucuns font passer pour de la mièvrerie, alors qu’il s’agit avant tout de poésie, d’émotion et de musicalité. Car Duteil est non seulement un grand auteur, mais aussi un grand mélodiste et un guitariste hors pair. Sous l’apparente simplicité des chansons qui s’adressent aux enfants ou écrites pour eux, il y a de la subtilité, de l’exigence et de la finesse. Il faut souligner la beauté des arrangements réalisés par les plus grands : Alain Goraguer, Jean Musy bien sûr, François Rauber, Romain Didier, Michel Bernholc, Michel Précastelli, Gérard Bikialo…
Echappons quelques instants aux tubes tellement réducteurs et réécoutons La tendre image du bonheur, Les fées, Clémentine et Léon, Le cirque, Jusqu’où je t’aime ou Retour d’Asie. Au départ avec des chansons plus ou moins légères et joyeuses, Yves Duteil a constamment évolué musicalement et poétiquement. Le ton est parfois devenu plus grave, par exemple quand il a chanté Yitzhak Rabin à travers le regard de sa petite fille (Grand-Père Yitzhak) ou son propre vécu dans Blessures d’enfance.
Un premier disque pour les enfants est sorti chez Pathé Marconi en 1980, illustré par les magnifiques aquarelles de Martine Delerm, avec des reprises de ses précédents albums (Prendre un enfant, Tarentelle, J’ai la guitare qui me démange, Lucille et les libellules, Le petit pont de bois…) et des chansons enregistrées pour l’occasion, telles que Fais-moi des ailes, L’opéra et John. Un deuxième vinyle paraîtra en 1986 avec notamment La farandole, Le royaume des éléphants, puis viendront plusieurs compilations en CD : la dernière date de 2010. Toutes les chansons sur l’enfance ou écrites pour les enfants figurent dans l’intégrale, bien entendu.
Yves Duteil n’est pas seulement un chanteur pour les enfants, tellement son répertoire est riche. Il est surtout un chanteur sur l’enfance : ses méandres, ses joies, ses souffrances.
-Nicolas CÉLÉGUÈGNE
Yves Duteil, Chemin d’écriture , Bayard Musique, 2023. Comprend un coffret de 16 CD, avec les 15 albums originaux (en bonus des inédits), des reprises des chansons qu’il aime (45 chansons), 21 duos, des maquettes, 42 chansons captées en enregistrements publics (« Le concert imaginaire ») et un livret de 20 pages avec nombre de témoignages amis.
Sort en même temps l’Intégrale des chansons, préfacée par Didier van Cauwelaert, textes commentés par l’auteur, aux éditions l’Archipel (468 pages)
Le blog d’Yves Duteil, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. Yves Duteil sera en concert à Paris aux Folies Bergères le 2 novembre 2023.
« Virages », 1974, version 2021 quatuor
« À l’abri du meilleur », 2018, version 2023 piano-voix
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