Manu Chao, marathon man
Liège, Caserne Fonck, 15 mai 2023
Que devient Manu Chao ? Telle est la question que l’on peut se poser, l’artiste ayant totalement disparu des radars médiatiques. Son album, La Radiolina, paru en 2007, avait été présenté par son auteur comme son ultime opus. Seize ans plus tard, reconnaissons que ce n’était pas paroles en l’air : aucun disque n’est venu garnir sa maigre escarcelle depuis lors ! Tout juste a-t-il collaboré de-ci de-là à quelques morceaux, comme chanteur, compositeur ou producteur.
Pas si grave, me direz-vous, la scène ayant toujours été son terrain de prédilection, l’endroit où il pouvait au mieux déployer ses ailes de rocker troubadour. Ceux qui ont eu la chance, dans les années 80-90, de voir La Mano Negra savent ce que recouvre l’expression « un concert de folie ». Et plus tard, dans les années 2000, quiconque a pu applaudir le Manu lors de ses tournées avec son groupe Radio Bemba ne peut qu’en garder un souvenir ému, tant l’énergie de ses prestations vous rechargeait à bloc pour les années à venir. Mais même en ce domaine, la discrétion était de mise depuis quelques années…
C’est donc avec surprise que nous avons appris que notre globe-trotter préféré venait faire un saut en Belgique, pour trois dates inattendues, à Bruxelles, Tournai et Liège. Trois concerts annoncés sans tambours ni trompettes et affichés complets en deux jours, le bouche à oreille ayant fonctionné à plein. On aurait pu croire Manu Chao un peu oublié, il n’en est manifestement rien ! Nul doute qu’il aurait pu doubler ou tripler les rendez-vous, sans combler la demande pour autant.
Nous débarquons donc ce lundi soir dans une salle pleine comme un œuf. Un public bigarré, entre trente et cinquante ans majoritairement, prêt à s’éclater, prompt à s’enflammer. Une assistance dans l’expectative également, ne sachant rien de ce que l’artiste allait nous proposer, si ce n’est qu’il allait chanter en version acoustique. Qu’importe, chacun s’était paré de son plus beau sourire, avait chaussé ses meilleures baskets pour danser et astiqué intensivement son gosier (pour chanter ou pour ingurgiter quelques breuvages houblonnés, indispensables ingrédients pour toute fête belge qui se respecte).
Manu Chao débarque en toute simplicité, armé de sa guitare, entouré de deux complices, l’un à la guitare et l’autre aux percussions. Il s’assied sur un tabouret qu’il ne quittera guère et c’est parti. D’abord en douceur, avec les chansons en français de son album de 2004, Sibérie m’était contéee, qu’il va interpréter quasi en totalité. De jolies chansons porteuses d’émotion, comme cet hommage à son ami Helno, chanteur défunt des Négresses Vertes, d’une poésie simple et sans esbrouffe.
Après cette mise en bouche tout en fraîcheur d’environ cinquante minutes, place aux choses sérieuses ! Les premières paroles en espagnol se font entendre et tout de suite, le rythme s’accélère. Destination l’Amérique centrale et les Caraïbes, pour un voyage de longue durée. Le petit jogging est devenu marathon : le concert durera encore deux heures et demie ! Sans pause, si ce n’est pour de faux départs, où les morceaux s’enchaîneront sans discontinuer, s’entrecroiseront (tel un DJ, Manu ne se gêne pas pour rechanter un passage d’une de ses chansons au milieu d’une autre), se répondront, s’embrasseront. On reconnaît au passage certains morceaux plus connus (Clandestino, King of Bongo, Libertad, King Kong five…) mais cela n’a guère d’importance : le répertoire de Manu Chao est un ensemble à prendre en bloc. Les musicologues avertis le lui reprochent évidemment (tout se ressemble, il ne connaît que trois accords !), le public n’en a cure. Celui-ci est venu s’enivrer de rythme et de danse et le chanteur, d’une générosité folle, répond à la demande sans se faire prier. Pourquoi aurait-il quitté la scène plus tôt, nous n’avions pas envie qu’il parte !
A bientôt soixante-deux ans, Manu Chao est donc resté cet artiste fou, qui se donne sans compter, au sourire contagieux et au charisme immédiat. On l’aime pour ce plaisir qu’il prend à se produire devant nous, pour cette joie qu’il nous offre en retour, pour ces musiques qui font autant rêver que danser. On l’aime aussi pour son intégrité, lui qui a laissé des collectifs liégeois s’occupant des sans-papiers venir s’exprimer sur scène avant le concert et qui veille toujours à ce que ses concerts restent abordables (la place était à 25 euros : est-il besoin de préciser qu’un tel prix est exceptionnel pour une vedette de cet acabit ?). On l’aime pour ces voyages qu’il a faits pour nous, pour les rencontres qu’il a vécues à notre place, pour ces souvenirs musicaux qu’il en a ramenés. On l’aime car il nous laisse espérer qu’un autre monde est possible, où la fraternité ne serait pas un vain mot.
Manu Chao était, est et restera à jamais un artiste précieux.
Le site de Manu Chao, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
« Si loin de toi » (Sesiones Matalunes BCN 2021)
« Soñé otro mundo » (Pluma sessions 2022)
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