Romtom boucle son voyage
Entretien avec Romain Thomas, alias Romtom, propos recueillis par Robert Migliorini pour NosEnchanteurs à l’occasion de la sortie de l’album Voyageur
« Les rappeurs sauveront ce qu’on appelle la chanson française »
-Votre premier album « Mise en bouche » est sorti en 2016. Au départ la musique n’est pas votre seule passion ?
-Romtom (Romain Thomas) : je présente un parcours disons atypique. J’ai beaucoup aimé mes études en droit international. Mais dans la pratique je ne voyais pas exercer le métier d’avocat. Très vite après avoir obtenu mes diplômes je me suis tourné vers ma passion de toujours, la musique, l’écriture, une vie de créateur. Quelques rencontres de professionnels m’ont conforté dans ce choix.
-NosEnchanteurs : Avec quelle feuille de route ?
Celle de passer d’un univers à un autre. En pratiquant l’ouverture, l’au-delà des frontières. Dans ma jeunesse déjà, en famille, je suis né en 1984, nous écoutions toutes sortes de musiques. Du jazz que mon père, médecin, jouait à la clarinette en amateur, à ma mère plutôt chansons françaises (Brel, Brassens, Cabrel, Souchon). Nous puisions aussi dans des répertoires plus anciens comme les chansons publiées dans Bob et Bobette (1). A mon tour j’ai apprécié au fil des années différents genres musicaux dont le jazz. Pianiste je pratique aussi les percussions et aujourd’hui la guitare. Je suis multi-instrumentiste. Ma découverte des musiques afro-brésiliennes a été déterminante. Je pratique et enseigne la capoeira brésilienne qui n’est pas seulement un art martial. C’est sur une île en face de Salvador de Bahia que j’ai pu dépasser les clichés associés à la musique brésilienne. J’ai finalement opté pour la chanson en français qui permet d’aller plus en profondeur dans l’expression. A la manière de Mathieu Boogaerts et M, issus eux-aussi de la banlieue parisienne. Sans oublier le Brésil qui développe une telle énergie devant la vie !
-Vous avez débuté dans les couloirs du métro parisien , les cafés. Après votre cycle de web série de reprises à votre façon, la saison 2022-2023 annonçait un grand voyage sous la forme de quatre EP de trois titres. Le volume 4 vient de paraître. Qu’est-ce qui vous a fait choisir cette forme de nouveau grand voyage?
Le projet « Voyageur » se présente pour le moment sous la forme digitale. Un livret est à venir. Comme le titre l’indique, il s’agit d’explorer des horizons musicaux et des climats différents. Sous l’angle d’une chanson française sans frontière. J’ai eu envie de relever ce défi d’artiste « touche-à-tout, virtuose de rien » comme j’aime dire. Le voyage en quatre étapes évoque le monde extérieur et la dimension intérieure. Quasi spirituelle au sens très large. Vous ne trouverez pas d’abord l’itinéraire sur une carte mais inscrit dans le rêve. C’est ma vision du monde où l’on évoque le rap ou la mythologie grecque. A la manière des quatre visuels conçus par le peintre illustrateur Cédric Peltier. Je ne voulais pas m’enfermer dans un seul style. Avec l’idée d’amener la chanson française ailleurs. Dans ce sens j’apprécie que l’on me dise que je suis sorti du cadre chansonnier habituel. D’où encore l’idée d’inviter un rappeur comme (Yoann) HYL, lauréat du Prix d’écriture Claude Nougaro 2019. Je constate que les rappeurs chantent de plus en plus. Je considère même que les rappeurs sauveront ce que l’on appelle la chanson française !
-Qu’est-ce que vous a apporté votre participation aux récentes rencontres d’Astaffort ?
La force du travail en collectif. On m’en parlait depuis longtemps, je l’ai expérimenté. Nous avons écrit trente-huit chansons en quinze jours pour en retenir au final dix-sept pour le concert de clôture. « Déboires », celle que j’ai écrite avec le musicien Mister Mat a été retenue. De grands moments, hyper intenses. Ce n’est tous les jours que vous vous retrouvez en face de Francis Cabrel, co-fondateur des rencontres, et qui vous dit : « Allez, je t’écoute ! ». Ce travail collectif rejoint mon souci de veiller au bien commun, au vivre ensemble dans nos sociétés. Tout ce qui relie. Musiques y compris.
-Recueilli par Robert MIGLIORINI
(1). Bob et Bobette. D’après une bande dessinée belge, publiée en France dans le Journal de Tintin entre
1950 et 1958, éditée en album en France depuis 1951 par les éditions Erasme puis, à partir de 1989, directement par l’éditeur belge Standaard (source Wikipedia).
Le projet
Romtom, depuis 2016 a bâti un univers. Tant par sa voix immédiatement reconnaissable, légèrement voilée, qu’il promène à toutes les hauteurs et dans tous les jeux que l’on peut créer, des boucles, vocalises, percussions corporelles, et jusqu’au traitement de voix ponctuel et délicat. Que par ses textes, qu’il sait triturer avec talent pour en tirer des sonorités particulières tout en épuisant le sens.
Après un premier album justement appelé Mise en boucle que nous vous avions présenté, il a peaufiné son chant en de nombreux concerts, souvent de proximité, où l’on a pu juger de ses talent à communiquer l’émotion. Pendant la pandémie il a entrepris de mettre sa patte personnelle sur des chansons françaises ou anglosaxonnes auxquelles il a su apporter toute sa singularité, les transcrivant en français si besoin.
L’album actuel est un projet original qui s’articule autour de quatre EP de trois titres chacun, dont nous vous avons déjà présenté les trois premiers. Entièrement réalisés par lui en liaison avec l’art du peintre-illustrateur Cédric Peltier, il fusionne ses influences, jazz, chanson française, musique brésilienne et urbaine dans un univers poétique et rythmé qui donne des perspectives tout en n’ignorant pas les aléas de la vie. Plusieurs invités lui donnent la réplique, de Chloé Monin dans le volume 1 consacré au couple, avec des racines mythologiques, au rappeur poète HYL du volume 4.
Le volume 2 est une éclaircie aux couleurs de printemps, tandis que le 3 plonge dans un univers urbain américain, entre hip-hop, jazz et néo-soul, avec entre autre l’hommage marqué au producteur-rappeur J.Dilla mort de maladie prématurément, très symbolique de cette fusion expérimentale des styles, donnant aux corps toute liberté de s’exprimer.
Romtom clôture son Voyageur dans ce quatrième volet par un message de lâcher prise et d’espoir.
Mêlant les deux sons, passé, passer, sur les doux glissements de guitares et des percussions qui se font organiques, mêlés de murmures à bouche fermée , il invoque la liberté et l’espoir : « Que le nuage passe et tout s’éclaire ».
Sur des nappes stellaires et des percussions discrètes, il tente d’oublier le monde virtuel inhumain « Main sur la machine j’essaie d’espérer / Que tout c’que j’abîme va se régénérer ». D’une voix de tête qui soudain se pose, légèrement voilée, dans les variations de voix qui le caractérisent, dialoguant avec la voix grave du rappeur HYL, il implore « Laisse nous de l’air allez laisse nous de l’espoir / Laisse nous le faire ce futur qui nous laisse croire (…) en l’espèce humaine ».
Enfin la boucle est à nouveau bouclée en renouant avec l’attente d’un amour, sinon éternel, mais qui se laisse porter par La tempête, célébrant « un instant / Nos qualités / Toutes voiles au vent » :
« Mais maintenant que l’on ne cesse de déjouer, déjouer
Les pièges et que l’on reste dévoués, dévoués
Tiens toi bien, résiste à nos remous
On pourrait bien, tenir le coup »
-Catherine LAUGIER
Romtom, Voyageur, quatre volumes, Ariane Productions 2023. Le site de Romtom, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. La génèse du visuel de Cédric Peltier.
Merci pour cette interview avec l’artiste. Je n’ai malheureusement point encore eu l’occasion de le voir en direct. En tant qu’amateur, je souhaite évidemment donner à mes enfants toutes les chances pour devenir musiciens également. Mon frère m’a parlé d’un jeu de cartes pour apprendre la musique, j’y jetterai un œil, je crois. Je trouve les débuts de l’artiste fort intéressants !