Jean-Sébastien Bressy, un indien dans la jungle urbaine
Avec un talent de pianiste virtuose, de compositeur, d’auteur inspiré et un physique à rendre jaloux les stars d’Hollywood, une voix qui ne se contente pas d’être belle, il devrait truster les émissions de télévision, de radio et les premières places des plateformes de la toile qui nous englue dans ses fils virtuels. Pourtant, s’il est bien connu du milieu musical, les médias, eux, préfèrent parler de renaissance de la chanson à chaque nouvelle starlette poussée sous les sunlights ou dans les bacs des supermarchés (de moins en moins) ou bien plus dans les playlists, dont le succès se compte en nombre de streamings. Que ce soit ou non un choix, mieux vaut la qualité artisanale, et même, n’achoppons pas sur les mots, artistique, que la quantité de produits industriels moulés en série. Et d’abord, le contenant : un de ces CD parfaits, à trois volets, illustré vintage, avec son livret complet, et même une clé USB pour ceux qui ont laissé leur lecteur de CD dans la voiture (ou vice-versa). Un objet qu’on aime à collectionner, à ouvrir, à feuilleter, à reposer moult fois sur sa platine.
Ce refus de la banalité, de ces chiffres froids, de cette société vénale, Jean Sé (oui, c’est ainsi que le nomme son public, trouvant qu’il y a suffisamment de Jean-Sébastien chez Bach) l’exprime beaucoup mieux que moi, avec une certaine violence assumée : « De la city à la cité / Glacés comme des automates / S’agite une horde de primates / Et de vautours encravatés ». Et il rêve que des Comanches prennent leur revanche en gardant à leur tour dans des réserves bétonnées ceux qui ont abîmé la terre. Avec cette cauda dont il a le secret « En jetant à tout ce troupeau / Des cacahuètes Monsanto ! »
Le doux Jean Sé, assoiffé de tendresse, qui chante si bien l’amour – ah cette mélodieuse, merveilleuse de délicatesse « danse mon amour / Prends ce monde à rebours / Envahis l’espace / De rêve et de grâce », la générosité, le rêve – souhaitant à l’enfant en quête d’avenir d’être « Arroseur de fleurs, cueilleur d’étoiles », et les souvenirs d’une enfance heureuse, avec une certaine mélancolie (Où sont nos rires d’enfants), capable d’une ode lumineuse et dansante aux escapades insouciantes entre copain.e.s, Espadrilles et 2 chevaux, peut aussi être très en colère, et ça pourrait finir très mal s’il mettait ses fantasmes vengeurs à exécution.
Écoutez plutôt cette fable, Les Éléphants, qui ont quelque chose à voir avec les gaillardes vengeresses des gendarmes de l’Hécatombe brassenienne. Sans vergogne il enverrait bien déferler sur nos dirigeants réunis en Afrique en sommet « un troupeau d’éléphants monstrueux, gigantesques / déferlant à toute vapeur ». D’ailleurs, on les entend de loin barrir, sur les percussions africaines de Pascal Coquard, avant qu’ils ne s’attaquent aux potentats apeurés : « Un pachyderme fouette avec sa trompe immense / Quelques chefs d’états accroupis / Un autre les attrape et brusquement les lance / Dans le ciel comme des toupies ». Jusqu’aux derniers outrages, que par pure charité chrétienne, je vous épargnerai.
Même complètement laïque « J’ai préféré la carmagnole / Aux chants sacrés de vos missels », il rend hommage à ses grands-parents, « fidèles / D’un dieu qui est tombé des nues » pour leur foi, leur espoir, leur élan fraternel : « Dans mes silences, et mes accords / À mon piano, je prie encore. » Cultivant ses utopies au soleil de Djilor, dans un rêve de paradis naturel, pas encore abîmé par les hommes : « Pour les dieux, pas de dispute / Main dans la main réunis / Mahomet, Jésus discutent / Et invoquent les esprits ».
Cet album est parfaitement intemporel, paradoxalement moderne, infiniment libre, avec ce qu’il faut de deuxième degré et d’humour (Christina Rosmini lui donne la réplique sur C’est du baratin, cousin de Paroles, Paroles). Une œuvre originale qui se termine par un Merci au « revers de chaque chose », dans un amor fati éclatant sur le piano noir, une vraie prière : « Je lance mon chant dans la nuit / Si trois cœurs lui ouvrent leur porte / Merci ». Et longtemps vibre la dernière note du piano, qui envahit l’espace pour vous donner raison de vivre.
Jean-Sébastien Bressy, Les Indiens, 2023. Le site de Jean Sébastien Bressy c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
« Les Indiens » Brienon-Armançon, avril 2023
« Danse » Thonon-Les-Bains, août 2022
« Merci » Allemagne-en-Provence Juin 2022
Superbe article à la hauteur de l’artiste et de son œuvre.
La vidéo des Indiens est disponible avec ce lien: https://youtu.be/iECLXXwMME8
Merci, rectifié le lien des Indiens
Quel bel article, Catherine, à la hauteur du talent et des révoltes salutaires de Jean-Sé, et de sa capacité à nous émouvoir. Comme il l’écrit si bien : Merci.
Il était samedi dernier à La Guillerie en Creuse chez nos amis les Pasquignon.