Oyez Joyet !
Namur, La Templerie des Hiboux, 15 avril 2023,
« Aux commissures de mes rêves / Les mots sont des gouttes de temps ». Bernard Joyet est un immense auteur. Pour tout amateur de chanson française, la chose est entendue. Son œuvre l’est malheureusement moins. Médias paresseux, maudit par essence ? Allez savoir. Qu’importe, le temps est son allié. Sûr qu’il jouera les prolongations bien longtemps après la fin du match. Succès d’estime ? Seul le deuxième thème de l’expression compte pour du cœur. Time is money, (es)time is honey…
Il est le premier à en sourire, d’ailleurs, de cette discrétion dont on l’honore. Remisez donc vos conseils avisés pour conquérir les foules, l’homme n’en aurait cure. « Les sachants mieux que les savants / Ils ne sont jamais décevants / Ils ignorent leur ignorance / Ils assurent avec assurance / Ils n’y connaissent rien du tout / Mais ils ont un avis sur tout ». Ajouter un refrain ? Il s’en réfrène (mais décuple les couplets). User d’un vocabulaire moins soutenu ? Il passe toutes ses vacances au lexique. Soumettre sa plume à un régime minceur ? Il est adepte du « y’en a un peu plus, je vous le mets quand même ? ». Bernard Joyet est définitivement un artiste qui délaisse les sentiers goudronnés du show-biz pour les chemins de traverse où s’épanouissent les mauvaises herbes. Marginal et fier de l’être. « On t’a traité comme un voyou / Pour avoir jeté des cailloux / Sur l’ombre d’une idée reçue ».
Alors, son public se le garde pour lui, tel un secret bien tu, un trésor enfoui profond. Et répond présent quand une scène l’accueille en son sein, pour un régalant gala ou un concert déconcertant. Comme en ce beau samedi soir, dans ce magnifique petit théâtre namurois. Une assemblée fervente, qui a eu l’honneur, le plaisir et l’avantage de découvrir quelques nouveaux crus (même si, comme nous le fait malicieusement remarquer notre vedette, « quand on ne connaît pas les anciennes chansons, on ne les distingue pas des nouvelles »). Relevons en particulier une brillante dissertation musicale sur la représentation des dents dans la peinture, interprétée de mémoire – parfois défaillante – par l’artiste pour la deuxième fois seulement.
Qu’il sorte à peine de l’œuf ou affiche quelques années au compteur, chaque titre est accueilli avec la même écoute attentive. C’est qu’un texte de Bernard Joyet, ça se goûte tel un vin fin, ça se savoure comme un mets délicat, ça se digère petit à petit. Les thèmes abordés sont universels et intemporels, rien d’anecdotique dans ses chansons : de l’aveu de leur auteur, « traiter de l’actualité », il ne sait pas faire ! Sont dès lors évoqués des sujets comme l’horizon, la postérité, les inventions ou le temps qui passe. Avec mille fulgurances poétiques, rimes riches et jeux sur les mots. On ne comprend pas tout d’emblée ? Qu’importe, l’image nous a frappés, l’association des termes intrigués, le calembour fait sourire. Avec lui, on aime à perdre la saison, le temps met la gomme pour nous effacer, on pète plus haut que son Q.I… Parfois le rire se fait franc, à l’écoute du magistral résumé de la Bible. Puis c’est l’émotion qui vous étreint, à l’évocation du passage trop bref d’un Ado ou de la vie laborieuse d’une servante (superbe Maria repassait). Il est comme ça, le Bernard, généreux et prodigue en sensations. Autant qu’en mimiques, ce qui n’est pas peu dire !
Il serait injuste et impoli de ne pas rendre hommage au zélé pianiste/souffleur qui nous a enchantés ce soir-là. Le charme aérien de Clélia Bressat-Blum, happée sur une autre scène par Michèle Bernard, avait cédé la main à la virilité couillue de Martin Le Ray. Sans nous risquer à faire une comparaison hasardeuse entre les deux talents, contentons-nous de souligner l’excellence de la prestation. Faut-il le dire, avec Bernard Joyet, l’accompagnateur n’est jamais un simple exécutant, mais toujours un véritable partenaire de jeu.
Passer une soirée avec Bernard Joyet, c’est participer à un open-bar d’intelligence et d’humour, de poésie et d’émotions, d’esprit et de littérature. Courez y faire bombance.
Le site de Bernard Joyet, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
ET AUSSI
Pour nous mettre en appétit, nous avons pu découvrir un artiste local, partenaire par ailleurs du maître des lieux dans ses aventures théâtrales, Stany Mannaert. S’accompagnant à la guitare, il nous a raconté avec le sourire un lendemain de soirée arrosée, évoqué le partage des enfants après une séparation, dressé les portraits d’un artisan-luthier ou d’un petit monsieur bien seul… Des chansons enlevées ou tendres, chantées avec entrain et émotion. Une affaire à creuser.
Récemment sur le FB « les amis de Yves Jamait » j’écrivais ce qui suit. Le 31 mars j’attendais à » l’Avel Vor » à Plougastel Daoulas que s’ouvrent ses portes pour assister au spectacle d’Yves. Comme dans toutes les files d’attente, on cause … Et que les personnes présentes manifestement inconditionnelles de la bonne chanson françaises ne connaissent pas Bernard, je ne le conçoit pas…et ça m’énerve ! Depuis le temps qu’il trimbale sa perruque blanche ( il parait que c’est une perruque !) sur les routes de France et de Navarre … que ses textes sont étudiés à l’université…et qu’en plus, il sera jamais vieux, il est urgent que, de plus en plus de spectateurs, oyent le joyeux Joyet