Laurent Viel, l’avenir lui donnera raison
Après À l’envers, 1998, le premier album de Laurent Viel,
l’Impatience,
2005 s’appuyait sur des textes de Marie Nimier ou de Xavier Lacouture - qui le suit ou le met en scène depuis cette époque – et des musiques co-composées avec Thierry Garcia. Il y commençait déjà à lever le voile.
Après tout ce temps passé sur scène, à chanter Brel ou Barbara, jouer, se travestir, Laurent a eu envie de se présenter de façon plus intime, de reconstruire un itinéraire. Remonter à son enfance où il était fasciné par deux femmes que tout semble opposer, Sylvie Vartan, sa blondeur, son glamour, sa façon de se présenter sur scène – une chanson pop dansante (Xavier Lacouture/Thierry Garcia) lui est dédiée, à celle qui prit la place de son ours en peluche, celle qu’il dut défendre bec et ongles contre des copains moqueurs « mon bonheur et mon drame, ma première et ma dernière fois ». Et Barbara, son mystère, l’émotion qu’elle dégage. À celle-ci, aidé de Baltazar, il parle dans l’au-delà, sur des extraits enregistrés de sa voix, et la musique un peu dissonante de Roland Romanelli. « Et ton enfance coule sur mes joues ».
Cet album… un bel objet où il reprend un code déjà ancien, le rouge et le noir en un coup de pinceau étalé vigoureusement, sur un fond blanc, détail des Coquelicots de la victoire, d’une autre femme, Martine Laboureur. En une photo aussi sobre que brillante, pull noir à col roulé et symbolique escarpin rouge pailleté. Au verso, Laurent, de dos, nous présente son grand ours en peluche…
Au mitan du livret, quelques photos en noir et blanc d’un petit garçon malicieux au grand sourire, serrant contre lui un chien ou un nounours, le premier objet de tendresse. Des traits fins, une coiffure mixte, il pourrait être une fillette à cet âge incertain. Et des portraits de Laurent maintenant, point-contrepoint enfance et feux de la rampe, contre-jour en profil perdu. Zoom sur un sourire mystérieux, regard pétillant avec une pointe d’incertitude, ou yeux fermés, plissés de malice. De superbes photos de Franck Boucourt.
Peu de chansons couplet-refrain, plutôt un journal musical intime, quelquefois chanté, souvent parlé ou psalmodié, qui puise dans le répertoire éclairant de Laurent Viel, avec beaucoup de ses fidèles amis artistes. Un voyage qui se fait opéra envoûtant, voix douce, qui se brise parfois, émouvante, réalisation électronique foisonnante de Yann Cortella, soutenue par les guitares, basses et contrebasses, claviers, et saxo au final.
C’est Proust qui fait tomber la pluie par la voix de Laurent, non sur une musique de Debussy ou une berceuse de Fauré, mais sur de belles gouttes électroniques. Nul doute que Proust eût maîtrisé claviers et synthés s’il fut né au vingt-et-unième siècle. Sur ses traces, Laurent raconte la famille au fil du courant. Un récit en prose chanté, du spectacle Chacun sa famille, écrit par Pascal Mathieu, avec Enzo-Enzo en écho, en complicité retrouvée. Famille cocon, et en miroir famille scientifiquement construite, avec cette histoire de mère porteuse, « Spermatozoïde X rencontre ovule Y, s’installe dans ventre Z ». Subtilité du X qui n’est pas féminin, du Y qui n’est pas masculin, du Z qui n’est pas non-binaire.
En ouverture la longue méditation introspective de la chanson-titre, issue du spectacle sur Déon (Alain Nitchaeff/Romain Didier) est flux et reflux sur des percussions insistantes, faites pour faire danser, mais qui restent discrètes, nous embarque en imaginaires. « Quand je pense homme, je me sens femme ». Et vice-versa. « De ces deux-là, je suis la somme », avec cet espoir tenace qu’on laissera chacun.e vivre sa vie comme il l’entend : « l’avenir va me donner raison ». Dans le corps d’un homme, avec la voix céleste de Mimifé, se fait épopée mythologique, réincarnation tragique, « Plutôt coucher dehors que dans le sexe fort », sur une musique qui entretient le suspense.
Tel Lanzmann via Dutronc, tel Pascal Mary, Laurent a écrit cet hymne léger et tendre aux filles dans toute leur diversité « J’aime les filles à talons » (mais pas que), et sa pirouette, « Qu’est-ce qu’il y a d’aussi bon, qu’embrasser un garçon et ce n’sont pas les filles qui vont me contredire. Quoique ». Palme de la satire virulente avec Pianiste de bar (Bertrand Soulier), en duo avec le comédien Laurent Stocker, sociétaire de la Comédie-Française, dans le grand cabaret de la vie peuplé de gens qui n’ont rien à faire du pianiste.
La tonalité de l’album reste mélancolique, entre cette relation d’un chauffeur avec son « Monsieur », peut-être le seul qui l’aime, entre cette femme qui étourdit son deuil en lavant à la machine les vêtements de son homme « morts au chant du tambour ». Ce duo qui préfère la tendresse et le silence, lorsqu’il sait que bientôt l’un deux sera parti, un très beau texte de Philippe Besson, Au temps qui nous reste, sur l’émouvant piano de Jérémie L’homme.
Mais si Viel reprend à son compte Ai-je vraiment compté, du chante d’Eon, c’est bien avec une belle déclaration d’amour qu’il finit son album !
Laurent Viel, L’homme femme, Dmuse, CD , double vinyle, 2022. Le site de Laurent Viel, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
En concert tous les mercredis du 29 mars au 28 juin 2023 (relâche le 31 mai) à l’Essaïon à Paris pour le spectacle tiré de l’album, mis en scène par Isabelle Aichhorn, « pour transformer le laid en beau, le traumatisme en force »
Qu’est-ce qu’il y a d’aussi bon, (Laurent Viel, Cortella/Viel) clip
La pluie, d’après Proust, teaser
Barbara (Baltazar/Laurent Viel, Roland Romanelli) teaser
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