-Bat-, ce qui passe et ce qui dure
Quadrachromie, non ce n’est pas une coquille typographique, mais bien un virage en couleurs de quatre décennies de vie. Nous avions connu Baptiste Guliano sous le nom de Bat Point G, rockeur ascendance guinguette, son troisième poumon greffé à la poitrine pour accompagner un slam accrocheur, tout en scansion lancée à la volée. La chanson-titre est biographie tout en couleurs, du bleu cyan de l’enfance – mer, ciel, bleus du club phocéen -au jaune du soleil, des étoiles et du maillot de Magic Johnson, puis au magenta de la majorité, l’amour rouge comme des lèvres et son fruit « Nous serons trois dans quelques mois ». Virage au noir, lassitude, rancœur, « la culpabilité d’avoir mis le feu au foyer / Il a fallu du temps, beaucoup veiller sur les enfants / De 30 à 40 ans tout n’est pas noir sinon je mens ». Toutes ces couleurs de vie se traduisent par quarante sérigraphies en quadrichomie, signées et numérotées avec l’artiste Alias Ipin (Germain Prévost), qui accompagnent la sortie du Vinyle.
Dans ce nouvel album sous le seul nom de -Bat- entre deux tirets, le Bipolaire au chignon s’est acheté une nouvelle conduite, cheveux courts et moustache fine, voguant sur des nappes électroniques avec l’aide de Charlie Maurin aux programmations, synthétiseurs et boîte à rythmes, avec l’ajout des synthés modulaires de Bill. Des compositions élaborées au clavier, au piano qu’il a perfectionné. Plus de violoncelle ni de batterie. Son instrument fétiche ponctue encore certaines chansons comme un poivre discret – écoutez la percutante Sans bruit, qui parle de cet amour qui finit, avec une élégance certaine, pudique « Ne t’embarrasse pas à faire semblant / A croire que ce n’est qu’un moment / Que ce n’est pas moins bien qu’avant mais juste différent / Regarde comme tout est un effort / Même quand tu demandes du réconfort », et des mots dont il se joue pour bien exprimer le dilemme : « Si je reste je me trompe, je me trompe si je m’en vais / Si je reste je me perds, je te perds si je m’en vais. » Ou ornemente, tel un souffle qui enfle, tourbillonne, envahit tout – serti d’un cœur battant qui efface le souvenir de ces boîtes à rythme sans âme – cette Se fondre qui est le pendant positif de Sans bruit, célébrant une rencontre qui sauve de tout « On aurait pu se passer à coté ! », paraphrasant Baudelaire tout en le contredisant : « Ô toi que j’attendais, ô toi qui le savais ! ».
D’une voix douce, mais de plus en plus forte, dès le premier titre Bat nous amorce, et en même temps désamorce la critique : « Si tu « skip » sur ce son c’est fini / Mais si tu lui laisses sa chance, ça va peut être te donner l’envie / De laisser trainer tes oreilles un peu plus loin / De laisser trainer tes oreilles au moins jusqu’au refrain ». Le refrain ? Il n’y en a pas, mais promis, il va y en avoir dans d’autres chansons. C’est une façon de nous expliquer ce qui fait le succès d’un titre, « l’alchimie entre une poignée de mots et une mélodie » qui ne tient justement que si on arrive jusqu’au refrain « La topline qui fait chanter les foules et poussent les radios à diffuser en masse ». Tout l’album tourne avec talent autour du sentiment amoureux dans tous ses états, qui se noie dans la routine ou dans le virtuel. Tel cet émouvant « Elle vient d’écrire », presque tragique, contant celui, tel Nougaro, qui se fait son cinéma sur la toile : « Ca y est, le message est prêt avec en bonus un petit trait d’esprit bien senti / Si seulement ça pouvait lui donner envie », avant de se rendre compte qu’ « elle illuminera la nuit d’un autre (…) Elle mon étincelle moi qui m’éteins seul ». Sujet repris, encore plus sarcastique sur Entre soi , avec Emilie Marsh en écho : « C’est l’alter-egorythme qui nous réunit (…) Jamais seul / Tellement seul »
Bat sait aussi évoquer les soucis du temps, la grossophobie avec Quelque grammes si justement écrit, l’enfant Roi « S’il est un tyran / Tu en es l’artisan », ou la solitude d’une ville abandonnée, écrite comme un cri pendant le confinement : « On dirait que l’on dort, mais on bout au dedans » chantée avec Omri Swafield. Avec ce nouvel album, Bat a trouvé le juste équilibre avec une musique électronique aussi poétique que ses écrits, créatrice d’atmosphères, jamais uniforme ni répétitive, à la mesure de ses couleurs. Il nous lègue son espoir, cette terre qui tourne sous les mains de l’aimée « Ce ne sera mis que le soir au four… et deviendra céramique pour toujours. »
-Bat-, Quadrachromie, Postillons & Crachouillis, 2023. La page facebook de -Bat-, c’est ici. Ce que NoEnchanteurs en a déjà dit, là.
Concerts de sortie d’album ce jeudi 30 mars 2023 aux Trois Baudets à Paris avec Dimoné en ouverture, puis en Belgique le 1er avril à Cellule 133 à Bruxelles.
Sans bruit, en concert à Hyères avec danseurs (novembre 2022)
Quadrachromie, clip vidéo
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