Stavelot 2022. Réaliste Yoanna, surréalistes Jules & Jo
Abbaye de Stavelot, « Une chanson peut en cacher une autre », 28 octobre 2022,
Au festival de Stavelot, les soirs se suivent et ne se ressemblent pas. Et au sein d’un même soirée, les deux co-plateaux peuvent aussi s’avérer bien dissemblables. Plus que jamais la curiosité doit guider les pas de l’amateur qui franchit les portes des caves de l’abbaye.
Prenez le couple déjanté qui a ouvert le bal ce vendredi. Jules & Jo, c’est leur nom. Deux prénoms masculins pour un duo mixte. Qui est Jules, qui est Jo ? Spontanément, on attribuerait le premier prénom à la partie masculine du couple, supputant que le Jo dissimulerait une Josiane, Joëlle ou Jocelyne. Mais quand on sait que la chanteuse-guitariste s’appelle en réalité Julie, ne serait-elle pas le mystérieux Jules ? Ce questionnement n’est qu’un détail, bien sûr, tant le groupe forme une entité indissociable, mais il est caractéristique de la dérision qui imprègne leurs moindres faits d’armes.
Le groupe a justement eu les honneurs d’une récente chronique de Michel Kemper. Que peut dès lors ajouter l’humble auteur de ces lignes à la plume acérée et enthousiaste du patron ? Il se contentera donc de dresser l’évident constat : le spectacle que propose Jules & Jo est unique en son genre ! Au mieux, les nostalgiques feront le rapprochement avec l’autre groupe belge fêlé du bocal qu’est Sttellla, surtout celui des débuts, quand Jean-Luc Fonck se produisait en duo avec sa Mimi adorée. L’état d’esprit est bien le même : humour décomplexé et surréaliste, amour des mots et des situations rocambolesques, absence totale de la peur du ridicule qui les pousse à tout oser sur la scène. A la différence de leurs glorieux aînés, Jules & Jo cultive cependant moins le goût du calembour atroce et s’adonne à la plaisanterie noire et douloureuse, définitivement moins bon enfant.
Tel un La Fontaine se servant jadis de la gent animale pour décrire la société de son siècle, Jules & Jo manipule les objets usuels pour nous parler de notre pauvre humanité. Sous leurs plume et notes, la chaise de jardin devient un symbole de la solitude, la caravane l’emblème de la liberté, le trampoline un ascenseur métaphysique, l’abat-jour la métaphore de la routine du couple et le pompon du manège forain l’incarnation du désespoir. Une démarche conceptuelle pour un résultat hilarant, le couple emballant ses fines chansons dans une enveloppe clownesque de bon aloi, allant du discours alambiqué digne d’un stage de développement personnel au déguisement saugrenu de rois du disco.
Jules & Jo est ce que le marché actuel de la chanson propose de mieux dans le genre humour-surréaliste-mais-avec-du-fond-quand-même. Un dernier exemple pour vous convaincre ? Une chanson-flash, aussi drôle que dépressive, à tendance haïku : « Le monde est un potage / Je suis une fourchette / Dommage ».
Alors, quand allez-vous les applaudir ?
ET ENSUITE…
Pas facile, évidemment, de succéder à un ouragan de délire qui a mis la barre haut et le sourire sur toutes les lèvres. C’est à Yoanna, venue de sa Suisse lointaine, qu’est échu cet honneur. Dire que le défi fut brillamment relevé serait probablement faire preuve de mauvaise foi. Mais prétendre que l’objectif ne fut guère atteint serait tout aussi exagéré. Car l’artiste a partagé l’assistance, avec ses chansons toute de colère hargneuse et son attitude équivoque. Peut-il d’ailleurs en être autrement, son spectacle ne pouvant pas engendrer la tiédeur ?
Pour ma part, la circonspection est de mise. L’emballage musical (Yoanna à l’accordéon, Mathieu Goust aux percussions) rentre-dedans, l’agressivité latente de la chanteuse, malgré son sourire, son univers noir et culpabilisant pour le sexe masculin, son premier degré permanent aux couleurs de catharsis, cette absence totale de soleil dans le spectacle…, autant d’éléments qui m’ont empêché d’adhérer. Probablement avais-je envie d’écouter des chansons et non de subir un discours féministe sans nuance, où tout est dit, redit et souligné trois fois.
Des spectateurs qui avaient déjà applaudi Yoanna en d’autres circonstances m’ont précisé qu’elle avait alors fait preuve de davantage de douceur et de partage. Un jour sans pour elle ? Ou pour moi ? Allez savoir.
Le site de Jules & Jo, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Le site de Yoanna, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
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