Roland Bourbon et Serge Korjanevski, hors-sol
C’est le cadeau de votre printemps, l’objet à emporter sur une île déserte pour vos vacances, l’album de votre rentrée, à écouter/voir en toutes saisons. Sans doute livré par un ange dans votre boîte aux lettres, où s’est déposée, dans mon cas, une plume rose, un duvet qui chatouillera vos sens autant que votre cerveau. Comment désigner cette œuvre, inclassable. Le disque à écouter, le livret à voir, tout. Une idée du paradis. Achetez-le. Jetez vos drogues. Fermez les yeux. Rouvrez-les. Envolez-vous.
Dans notre époque de dématérialisation, où l’étalon des valeurs est le nombre de visualisations ou de ventes, il y a encore des artistes qui visent vers le haut, la beauté essentielle, éternelle…sacrée. Quel plaisir de tenir entre ses mains cette pochette, le plus beau des cadeaux à (se) faire. C’est à couper le souffle. D’abord, le contenant : un livret dans une merveilleuse qualité de papier satiné, illustré de dessins en noir et blanc de Jean-Marc Malagane, tel un jeu labyrinthique parsemé de symboles, à découvrir, à décrypter à chaque nouvelle lecture, et en cadeaux des bristols, photos, illustrations personnalisés à poser, à encadrer, dont chacun constitue à lui-seul une œuvre d’art.
Avec cela, une sélection de textes de la plus haute poésie, dont certains illustrent à leur tour, tels des haïkus, les illustrations : À Nu, de William Blake, lu par Arnaud Frémont « J’allai au jardin de l’amour / J’y vis ce que je n’avais jamais vu (…) » répond Miroir, de Joyce Mansour « Je suis nue / une mort chante (…) et dans le miroir où dort mon ombre / des papillons demeurent (…) » par la voix de Valentine Cohen. Le tout ponctué de ces photos de martins pêcheurs (Danielle Ginoulhiac), à la livrée de nuit bleutée semée d’étoiles blanches, et de terre rouge, ce symbole de rêve, de paix et de fidélité, que l’on retrouve, avec d’autres oiseaux, dans les dessins, ou sur la couverture, signant l’envol de l’homme, aspiré vers le haut, au risque, parfois, de se brûler les ailes à serrer de trop près l’astre solaire.
Mathias Imbert, connu comme chanteur sous le double nom d’Imbert Imbert, a prêté sa plume singulière à JK : « Tout est provisoire, donc sacré, sacré / L’éternité ne fait pas le poids devant le passage d’un sourire / D’une larme, d’un cul / Oui, d’un cul, sacré / D’un brin d’herbe, sacré », La marche du Ritaupin : « La perfection du monde dépend de la gentillesse du chien qui te bave sur les genoux » et la fin d’Ezéchiel, récit apocalyptique – le tétramorphe lion, taureau, homme, aigle – inspiré par Leto Lorenz « J’allume le feu sous mon cœur / Je déploie les cendres qu’il en reste / Comme les ailes d’un oiseau géant / Je m’en fais un ami », sur fond de musique bruitiste. Samples, notes légères de piano, sons semblables à des cloches, accents pop mêlés d’un subtil grincement, d’une lente percussion, d’une obscure résonance, qui les cassent, les ouvrent, entre souffrance, angoisse et beauté (Colombe), passent sans césure à cet autre poème de Blake, Chagrin… inquiétantes notes aquatiques, ventées, métalliques, qui entretiennent le suspense, « Père, où t’en vas-tu / Oh ne marche pas si vite / Parle à ton enfant… »
Mais tout n’a pas besoin d’être décrypté dans cette œuvre surréaliste, il faut se laisser emporter par ce voyage initiatique entre poésie déclamée par Arnaud Frémont, et musique expérimentale, entre spirituel et rock psychédélique progressif, ses envolées, ses cris et ses douceurs. Les percussions et orgues éblouissantes de Roland Bourbon, à la composition (le thème du Miroir de Joyce Mansour a été inspiré par Bruno Laurent), les guitares, basse, claviers et arrangements de Serge Korjanevski, qui a aussi écrit la divagation poétique Lui. Marimba et kaossilator achèvent de faire vibrer l’ensemble (écoutez les délicates Marlukin). Une expérience totale, exceptionnelle et accessible pourtant, osez l’Essentiel.
Roland Bourbon et Serge Korjanevski, Sacré, autoproduit, 2022. Le site de Roland Bourbon (Compagnie Fracas). Son profil facebook. Le profil facebook de Serge Korjanevski. Ce que NosEnchanteurs avons déjà dit de Roland Bourbon. On se procure l’album sur le bandcamp de Roland Bourbon.
Extraits musicaux « Sacré » à Pessac
Miroir, de Joyce Mansour
JK, de Mathias Imbert
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