Thomas Pitiot, seul avec le monde
Pertuis, Le 51, le 24 septembre 2022,
C’est avec un répertoire proche de celui du concert de Fraisses au Festival Les Oreilles en pointe en novembre 2021 que nous a conté Michel Kemper, autour de son dernier album Chéri Coco, que Thomas Pitiot se présente à nous. Une thématique plus intime, moins frontalement engagée que ses précédents albums, tout en restant lucide et percutante, plus rock aussi, moins afro cubaine. Quoique… Cette interpellation chéri coco ne s’adresse pas au militant comme on pourrait le croire, il s’agit juste d’une invitation africaine au petit blanc de passage. Et même si nous avons du mal à reprendre, en langues de Côte d’Ivoire, le refrain qui parle d’attiéké et de placali (1), sa persévérance nous a conduits à participer aux chœurs, embrayant sur le jeu de mots « ça m’a câliné aussi ». Tout Pitiot, la tendresse sous la révolte (écoutez Toi ma banlieue, « Je vis parmi ceux, je vis parmi celles » ou Un rêve sans étoiles, écrite pendant les mouvements urbains de 2005), l’agilité de la plume bigarrée et voyageuse, d’Aubervilliers à Avignon en passant par une île bretonne désertée, l’Occitanie de Damien Tourni ou l’Afrique. Pour évoquer les destinations lointaines, Pitiot use à sa guise d’onomatopées bien maîtrisées qu’il nous fait reprendre sans peine « yé yo yé yo… », ou avec un simple kleenex transforme sa guitare en kora…
Comment rester rock avec une seule guitare ? C’est très simple, en étant rock soi-même. Ce n’est pas une question de nombre d’instruments, il suffit d’avoir un palpitant qui porte bien son nom, un corps qui danse et un esprit à l’affût. Thomas Pitiot a tout cela, plus l’humour et comme disent les engliches, l‘entertainment. Un concert en appartement est réussi si le contact se fait avec le public, si chacun pense que l’artiste chante un peu pour lui, et il tient beaucoup du seul-en-scène humoristique. Pitiot est doué pour ça, incontestablement. Du Temps de picoler, à l’inénarrable Les téjis (comprenez témoins de Jéhovah) – arrivant au milieu de la crise mystique de sa fille, version reine des neiges - qui réfute les diktats sur les mœurs de toutes les religions, et dans une ambiance iconoclaste envoie de jolis pointes : « Ici personne ne se fait convertir / Sauf les clic-clacs au moment de dormir ». Ou pour introduire la tendre et passionnée Quand je me perds, le proverbe mélanésien « Toute sa vie l’homme est tiraillé entre l’arbre et la pirogue », comprenez la sécurité ou l’aventure, dont il m’attribue par dérision sinon la maternité mais du moins la transmission. Et en rappel ces sensations gratuites encore non interdites, comme « se baigner tout nu dans la mer » a cappella et en chœur (2), seulement accompagné au kalimba-jouet.
Avec si possible des instants d’intense émotion qui vous correspondent, comme cette chanson-fleuve Ta maman, qui tente d’expliquer à une petite fille l’absence de sa maman retenue en prison ; De mèche, entre tendresse et humour au moment de laisser bébé à la crèche, Mado, écrite pour sa seconde fille qui a d’instinct trouvé la note du piano…
Sans oublier l’engagement d’Occident clinique, auto critique de notre monde, de Terre volée « Il y a de l’eau, il y a l’homme et sa soif d’aimer » ou de Tu auras beau « tout raboter / Tu n’auras jamais notre beauté », quelques pieds au-dessus de Pagny.
(1) respectivement semoule et pâte fermentée de manioc
(2) Thomas Pitiot a terminé son concert en remerciant chacune des personnes présentes par leur prénom. Sans liste aide-mémoire. Chapeau !
Le site de Thomas Pitiot, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. Il sera en concert le 25 novembre avec son pianiste Michel Canuti à la Médiathèque de Pertuis, et à Paris en Concert exceptionnel avec invités à la Cigale le 1er avril 2023. Autres dates sur son site.
Occident clinique (audio 2014, avec Batlik)
Le temps de picoler
Un rêve sans étoiles, Aubercail 2010
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