Off Avignon 2022. Rovski, tentaculaire
Tentaculaire. Je ne me suis pas foulée pour le titre, me direz-vous, la pieuvre trônant sous leurs visages en jaquette pour représenter le titre phare qui a donné le nom de leur premier album, La Proie est reine, sorti en février dernier. Tentaculaire. Oui, mais c’est le mot. On en est au onzième concert du Off, à mi-chemin donc, et Sonia et Olive – alias Rovski – ne semblent pas pour autant avoir perdu de leur poulpe dans la cité papale : « Tu veux du catch ? », nous lancent-elles d’entrée de concert.
L’invite est tentante et encore plus les beats : on se laisse percuter avec délice du jeu déferlant de leurs bras-câbles électrifiés – alto, violoncelle, sampling pad, tom basse… tout est branché et nous avec – faisant surgir des mondes parallèles à mi-chemin mêlés entre le réel et le rêvé : « Je ne veux voir sur tes paupières / Que mon visage / Et puis la mer ».
Même le mot est matériel chez ces « amazones urbaines » que l’on compare tantôt aux Brigitte (énigmatiques), à Camille (qui ne mâche pas ses mots) ou encore à Phanee de Pool (cocasse mine de rien) et Oxmo Puccino (le verbe, le verbe…) : « devant le flipflop que tu as provoqué / Je repasse la porte […] / Devant le micmac où tu m’as emmêlée / J’encaisse les claques ». Nous aussi, on encaisse, on se prend des consonnes dans l’estomac, les voix scandent et les mots crépitent, pénètrent, infusent sous les strates plurielles de leur univers sonore.
Mêlant à leur set des titres de leur EP Mangroves – qui leur a valu de nombreuses distinctions, dont une place de finaliste à la Médaille d’or de la chanson française et au Prix Georges-Moustaki en 2019 –, Rovski tape fort dans nos corps (sublime, le brûlant de réel Incendie qui nous enjoint à « regarde [r] la cendre tomber »). Rovski tape fort oui, mais doux : l’intensité des paroles se fond toujours en cordes caressées et en accords planants, ne laissant que forte l’énergie et vivante l’image.
« J’écris une chanson comme un paysage », disait de fait Sonia dans une entrevue : la mer des pointes bretonnes (La Pieuvre et bien d’autres), les taches d’un plafond (Barbara), la circonférence violette des pois sur le tee-shirt de la grand-mère (Violette)… autant d’amorces plastiques qui transforment l’ennui, l’exaspération, le souvenir, le désir ou encore une aventure d’un soir mal passée (oh, le si irrésistible de dérision L’Aventure…) en lieux outre-mer.
De suaves guerrières en somme – contraste incarné aussi dans la simplicité de leur présence sur scène : des transitions sans chichi, des accords simples, une mise en scène qui se résume (et c’est bien suffisant) à l’univers déployé, magnétique dans l’afflux des rythmes et des sonorités invoquées. Et quand « soudain le speaker se défrise » (un couac électronique), pas d’inquiétudes, les Rovski sont d’un calme abyssal, voix en chœurs enveloppants.
Tentaculaire donc. On aurait aussi pu dire catchy, captivant, envoutant, entêtant… j’en passe et des meilleurs synonymes : il est difficile de passer à côté de la métaphore sirènes, tant Olive et Sonia Rovski, les pieuvres de l’affiche, ravissent et captivent au sens mer à mer des mots, comme créatures mythiques sur leur scène tout électrifiée.
« Danse, disait la foule »… seul regret : on verrait bien ces deux sirènes sans queue de poisson accaparer des scènes plus vastes que celle de l’Arrache-Cœur, presque trop étriquée pour cette mise en mouvement de nos intérieurs intimes.
Avignon Off dans le cadre de Chanson Off, sélectionné par Fédéchanson :
Rovski – Théâtre de l’arrache-cœur (13, rue du 58è R.I – Porte Limbert) – Salle Barbara-Weldens jusqu’au 30 juillet 2022 à 16 h 30 – relâche le 26 juillet.
Le site de Rovski, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de ces dames, c’est là.
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