Mathieu Pirro, parfois ses guerres se reposent
Quatre ans après Les mêmes goûts, dont Michel Trihoreau nous présentait l’amertume et la flamboyance, les questionnements et les sentiments, Mathieu Pirro à l’aube de sa cinquième décennie nous donne un nouvel album, le sixième en vingt ans, le premier sous son seul patronyme étant sorti en 2002. Il y analysait déjà des problèmes existentiels, la nécessaire coupure avec la famille, la méfiance par rapport à l’autre genre (Miso par protection), où le sens de la vie, dans la très belle Si j’étais Dieu. Vingt ans plus tard, Mathieu Pirro reste un écorché vif – on l’a souvent comparé à Brel – sa voix et son physique n’ont guère changé et il est toujours ce jeune homme blessé, qui criait « Je ne supporte plus ma solitude », à l’écriture incisive, toujours un peu en colère, maniant la plume comme un couteau.
Sorti en début d’année 2022 en version numérique, faut-il déjà comprendre que l’objet que nous collectionnons est has been…, il a entièrement réalisé ce nouvel opus, instruments, voix et mixage, entre deux pièces de théâtre, deux ateliers d’écriture, où il forme à la musique comme au texte et à l’interprétation des stagiaires de tout âge avec une belle exigence. Mieux vaut être autonome pour produire son art en ces périodes troublées et confinées. Qui paralysent certains, et en inspirent d’autres. Pirro semble être de ceux-ci, toujours à la recherche de la juste façon d’exprimer ses réflexions et ses sentiments. Moins piano-voix que les précédents, il y a introduit plus de guitare, de l’harmonica, des rythmes percussifs qui soulignent par exemple les mois de ce calendrier, métaphores de la vie et de ses étapes. « Pourquoi dans le désordre (…) y a plus rien qui fonctionne ».
La mélancolie de Mouffetard, entre souvenirs et fin d’un amour « Une chanson que personne n’écoute / Comme un baiser qui se vide / De ton amour mais reste avide / de te plaire » se traduit par une balade chantée d’une voix plus douce sur des notes expressives de guitare, terminée en anglais dans un song writing inspiré. C’est que Pirro a toujours l’ambition de réunir la chanson typiquement française (même chantée par un belge) et la pop bien composée et écrite d’un Lennon ou d’un Mac Cartney. Ce qui donne une des plus belles chansons de l’album, où perle l’espoir. Avec une belle variation musicale pop-rock. Mais c’est au piano qu’il saisit l’angoisse qui habitait Van Gogh, une chanson qu’il nous avait présentée au Festival Sous les étoiles de Bouc-Bel-Air il y a deux ans, et qui déjà nous avait bouleversés. « C’est une étoile éteinte au fond de l’estomac / Cendre d’un astre mort qui te brûle de froid ».
Cette plume qui le tourmente, lorsqu’il écrit à [sa] page blanche, qu’il caresse comme dans une déclaration d’amour à une femme, il sait pourtant infiniment la maîtriser, filant la métaphore avec un talent créatif assez rare « Et bien sûr tu t’en moques comme d’une cartouche vide / Regarde je suis livide / Ou bien d’une autre époque ». Entre auto-analyse ( Le corps parle) et remise en cause de nos causes caricaturales en « istes », lorsqu’il s’adresse directement aux Petits soldats du bien, la féministe, les « curieux humanistes » amis des bêtes prêts à condamner « Un gigot dans l’assiette / Et me voilà nazi », les juges de ce qu’il faut dire et faire, il ferraille contre le bigotisme et les « fossoyeurs de lumière ». Et toujours, du début (Je suis un homme femme) à la fin (Je ne vous apprends rien), la quête du genre, insondable mystère, entre désir, répulsion et trêve.
Matthieu Pirro, L’orage de vivre, autoproduit, 2022
Le site de Mathieu Pirro, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là. Mathieu Pirro sera au Off d’Avignon en tant que comédien de théâtre improvisé avec la pièce « D’après vous » au Théâtre humanum à 18h35 du 7 au 30 juillet, relâche le 17 et 19 juillet.
Mouffetard
Entre Lennon et Mac Cartney
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