Le Chant des Vagues 2022. Contrebrassens, respectueusement différent
5 juin 2022, festival Le Chant des Vagues, Erquy (Côtes d’Armor),
L’aventure de Contrebrassens a démarré quand Pauline Dupuy a eu envie de chanter Embrasse-les tous, de Brassens, accompagnée de sa contrebasse. D’autres chansons ont suivi, autour du thème des femmes et de la féminité, d’autres musiciens l’ont rejointe, le projet a grandi. On en a déjà souvent parlé ici, mais disons-le franchement, l’auteur de ces lignes n’était pas tout à fait convaincu par les enregistrements. Il allait donc à ce concert dubitatif, espérant une surprise. Quelle bonne surprise ! Une heure d’inventivité, de sourires, de tendres redécouvertes de chansons pourtant connues par cœur.
Parfois en formule à quatre, ils n’étaient là que deux sur scène. Mais l’énergie débordante de Michael Wookey faisait oublier l’absence des cuivres : cet homme joue de tout, du banjo au piano miniature pour enfant, en passant par les cloches et d’étranges échos dans un micro. Pauline Dupuy n’est pas en reste, tantôt pizzicato malicieuse, tantôt langoureuse à l’archet, ou percussive sur le manche. Elle l’aime, son instrument, nous détaille son anatomie : tête, corps, ouïes, âme. Pieds nus, elle le caresse sensuellement en chantant Quatre-vingt-quinze pour cent.De voir une telle diversité se déployer sur scène, j’ai été surpris, transporté, et puis conquis.
On entend alors les classiques de Brassens différemment. Cupidon s’en fout devient une balade chaloupée sur un rythme jazz, Les Croquants s’éclairent d’un jeu scénique drôle et résonnent profondément du grave puissant de la contrebasse. Il ne faut pas négliger le poids d’entendre ces chansons reprises par une femme. On le remarque particulièrement pour le Père Noël et la petite fille, interprétée dans la version de Barbara, et pour Pénélope qui devient un dialogue de femme à femme, conseil chuchoté de penser à son plaisir plutôt que tentative mal-placée de séduire. La Non-demande en mariage fait frissonner avec son ostinato sombre et lent à l’archet, et plus encore À l’ombre du cœur de ma mie chanté a capella depuis la salle, au milieu du public.
C’est le talent de Contrebrassens, d’insuffler à des chansons parfois monotones une richesse, une variété même d’un couplet au suivant, tout en respectant soigneusement l’œuvre originale. Un respect un peu trop grand ? On se prend à souhaiter parfois qu’elle ose secouer le vieux Georges, s’affirmer plus haut et plus fort dans les inter-chansons pour rappeler que l’époque a changé. Mais non, elle a fait le choix – délicat, difficile – de tenir cette ligne où le texte est rendu tel quel, sans glose revendicative, comptant sur la finesse de l’auditoire pour saisir d’autres perspectives. Un choix qu’on ne peut pas lui reprocher tant il tombe juste, quand elle fait sonner Don Juan comme « un hommage à l’humanité ». Un choix assumé jusqu’à la dernière chanson, on l’on lit son courage de renverser les rôles, quand elle cède sa contrebasse à son musicien pour s’emparer de chaînes métalliques et entonner, au son de leur cliquetis obsédant : « mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente. » Prendre le temps de se laisser surprendre, lentement, pour écouter Brassens avec nos oreilles d’aujourd’hui.
Le site de Contrebrassens c’est ici ; ce que Nos Enchanteurs a déjà dit d’eux, c’est là. Ils seront en quatuor mardi prochain (14 juin) au théâtre de l’Atelier, Paris 18e. D’autres dates sur leur site.
Contrebrassens, on ne s’en étonnera pas, est du lot dans le second volume de Collection NosEnchanteurs consacré à Georges Brassens. En vente sur le site EPM.
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