De Jean Fauque à Elise & moi, mars enchansonné
Mars 2022, le Petit Duc à Aix-en-Provence,
La saison en cette année 2021-2022 a été perturbée dans de nombreuses salles de spectacle. Toutefois au Petit-Duc, en raison de la création de la chaîne web dès l’automne 2020 dans les conditions du spectacle vivant, c’est à dire en direct et sans possibilité de réécoute, dans d’excellentes conditions de prises de vue, avec plusieurs caméras, et l’enregistrement du concert pour les artistes, la programmation a pu être assurée presque intégralement, accompagnée ou non de l’ouverture de la salle au Public. Elle n’a été vraiment perturbée que pour quelques concerts en janvier-février, où certains artistes ont renoncé à venir, et les concerts prévus ont été remplacés par des rediffusions de spectacles passés sur la chaîne web.
Dès fin février les concerts reprenaient encore plus denses avec les reports. Côté chanson, il faut signaler la conférence chantée « En parfait état de conversation » de Jean Fauque, qui nous a dressé le 5 mars une passionnante histoire de la chanson, interrogé par Lizzy Ling qui parfois chante avec lui (Happe de Bashung ), émaillant ses chansons d’anecdotes (il nous apprendra que la Joséphine de Bashung était sa tante, une femme libérée). Reprenant les interprètes pour lesquels il a écrit, Marc Lavoine avec Ma jonque est jaune, Johnny Hallyday, Polnareff, et de nombreuses femmes (Divine idylle pour Vanessa Paradis), Jacques Dutronc (Elle m’a rien dit m’a tout dit, écoutez ses explications).
Bien évidemment la part belle est faite à Bashung, avec Angora, La nuit je mens…Si Fauque a rencontré Bashung en 1975, c’est surtout au début des années 90 qu’il a écrit pour lui, avec tout l’album Chatterton, et Ma petite entreprise. Des paroles plus amenées par l’inconscient que par la réflexion, et un rythme qui s’éloigne de la convention strophes-refrain, se libère de la poésie pure pour gagner en émotion et en musicalité, faire le lien entre le son et le sens, la sonorité des mots (Happe, Volute, suggérant des jeux de mots et des images). On ne s’ennuie pas avec Jean Fauque, qui outre ses qualités d’auteur, est un interprète.
La page facebook de Jean Fauque, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là. Le site de Lizzy Ling, c’est ici.
Frank Cassenti, cinéaste (L’affiche rouge), metteur en scène de théâtre, président du Festival de Jazz de Porquerolles, nous conte le 12 mars l’histoire d’un enfant de migrants italiens, Novecento, ne? dans les anne?es 30 qui deviendra le pianiste du paquebot « Europe-Amérique », sans jamais toucher terre, celui qui avait des mains comme des papillons et créait la musique de l’Océan. Accompagné par Nguyen Lê à la guitare et Michel Benita à la contrebasse dans une forme d’improvisation, c’est une fable symbolique qui s’exprime plus par la musique que par les mots. C’est Siegfied Kessler, qui vivait sur son voilier avec un piano à bord qui lui a inspiré cette histoire. Encore une prestation à la marge de la chanson qui a en commun avec elle son étroite implication dans la vie humaine et les émotions qui la traversent.
Écouter un extrait du Live au Petit-Duc sur Soundcloud.
Le Tumblr de Frank Cassenti, c’est ici.
Le 19 mars Zaza Fournier venait présenter ses nouvelles chansons dans une formulation tout à fait singulière, accompagnée par le pianiste de jazz Pierre-François Blanchard qu’on a vu en 2021 accompagnant la chanteuse marseillaise de jazz Marion Rampal, et qui se présentait la veille dans un duo de jazz intime et sensible, Puzzled -comme le nom l’indique, allant de la berceuse irlandaise, à l’étonnant Fears en passant par un hommage a? Pierre Barouh – avec le clarinettiste Thomas Savy.
Avec Zaza Fournier le pianiste fait jeu égal, de même que le faisait MajiKer le beatbox aux yeux tristes lorsque je les ai vus tous deux en 2015 pour le répertoire de l’album Le départ. Il joue du piano en musicien de jazz, en musicien contemporain de musique expérimentale, jusqu’à la dissonance, tordant les cordes de son piano arrangé, générant les notes-émotions en accord parfait avec la chanteuse et son « tapage nocturne ».
Espiègle en mini robe noire, elle n’en chante pas moins des chansons étrangement dramatiques, accentuées par les notes du piano, traitant majoritairement de la condition féminine. Une façon qui lui est très personnelle de traiter le sujet, sachant bien rendre la souffrance d’une fille mal dans sa peau (vodka à la fraise) dans une valse triste et rythmée, où en attente d’amour, tout en séduction passive « J’ai mis de l’ordre dans ma maison / Au cas où tu viendrais » maniant l’impro vocale d’une façon très jazz, dans une performance de comédienne. Peut-on parler de chanson, il s’agit plutôt d’une confession. Jouant autant du ukulele que du piano, musicienne, chanteuse dramatique dans la lignée des grandes interprètes du XXeme siècle, elle n’a pas sa pareille pour décrypter les sentiments, les attentes « Mon cœur est un enfant du vent (…) Un jeune goéland qui cherche compagnie dans le soleil couchant / Mon corps est un vaisseau vaillant / Qui court sans regarder devant ». Le manque : « J’étais ton miracle(…) ton incendie (…) Tu es mon silence (…) Mon vertige ». L’absence [qui] est un couteau. Pas mieux.
Qu’elle regarde la ville qui brûle, ou celui qui a peur de la vie, qu’elle prenne un avion « qui fonctionnerait à l’essence de fleurs », Zaza avec Pierre-François vous emporte dans un spectacle original, ambitieux, poignant, vrai. Une véritable expérience multisensorielle, qui a autant du corps que de l’âme et de la voix.
La page Facebook de Zaza Fournier, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
« Paupières closes », première version 2015
Le 24 mars la salle accueillait à nouveau Léonce, qui était venu en première partie du groupe pop soul Virago en septembre 2021. Marseillais formé en musicologie et en jazz, il présentait un concert chanson guitare-voix sensible et généreux. Une voix douce et chaude, partant dans de belles envolées lyriques, de jolies mélodies et des chansons poétiques, qui parlent de Printemps, de l’amour et de la difficulté de l’avouer (Je t’aime trop) « Je veux que rien ne vienne briser mon miroir d’eau », des mots qui vous manquent face à la maladie, de la nostalgie de l’enfance. Un artiste très empathique, attentif au laissé pour compte (My name is Jean), positif face à la vie même en questionnement (Qu’est-ce qui va nous gagner). Capable aussi d’une si belle chanson pour l’amour qui dure, plutôt que de parler de la conventionnelle lassitude, avec À côté de toi « Tu es mon bateau naviguant sur les eaux troubles ». En rappel une jolie mise en musique de Contempler (« … me rend heureux »), de Victor Hugo, comme écrit pour lui.
Une écriture personnelle, une recherche du beau et du bien, sans doute un des concerts le plus chanson, dans l’excellent sens du terme, de la saison.
Le facebook de Léonce, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
Léonce, concert de septembre 2021
En co-plateau ce 24 mars Elise et moi est un trio jazz contrebasse piano en français, mené par sa chanteuse très présente, Elise Vassallucci, avec une voix aussi claire que puissante, dynamisante, à l’excellente diction. Elle présente son nouvel EP qui sort à l’instant, le 3 juin 2022, Fuveau (charmante petite ville des Bouches-Du-Rhône célèbre entre autres pour son Salon littéraire). Elle lui rend un hommage bucolique en évoquant le jardin de sa grand mère, sur des variations de sa voix entre grave et hauteurs, d’une grande beauté. D’autres chansons sont issus de l’EP 2021, La mer qui divague, ou de titres antérieurs.
Charnelle sur Mon corps, La mer qui divague ou Moi-même,« Plus je m’embrasse, plus j’aime m’embrasser », douce et sensuelle ballade chantée en duo avec Léonce, elle sait aussi évoquer avec humour et charisme ses insomnies sur fond de dissonances, J’ai sommeil, dans une vraie dramaturgie. Ou rendre un magnifique hommage à Charlotte Salomon, artiste peintre berlinoise juive morte à Auschwitz en 1943.
Une belle découverte pour moi qui me confirme dans l’idée que la chanson jazz est un des plus beaux fleurons de la chanson tout court.
Talent jazz confirmé en rappel par une adaptation de la vocaliste Amy Ross disparue en 2013 sur la virtuose Twisted, devenue « La tordue ». Preuve faite que le français swingue aussi bien que l’anglais quand on le veut bien. Éblouissant.
La page facebook d’Élise et moi, c’est ici.
« La mer qui divague », EP 2021
« J’ai sommeil », EP 2021
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