Laura Anglade & Sam Kirmayer font jazzer le répertoire
Le jazz et la chanson, ça n’a jamais été une franche histoire d’amour : chacun dans son pré carré, avec une méfiance, parfois du mépris, de la part des tenants du jazz en direction d’une chanson souvent tenue pour bâtarde. On en connaît des musiciens de jazz qui, pour le cacheton ou par passion, versaient aussi dans la chanson – la variété comme on dit – sans jamais l’avouer dans le milieu du jazz où ils évoluaient, de peur d’être au mieux raillés, au pire jetés. Certes, il y eut Claude Nougaro, a priori le mariage parfait entre jazz et chanson, Michel Legrand, Michel Jonasz… Il eut eu tout un disque de Brassens en jazz, et plein d’autres initiatives, mais sans jamais vraiment faire bouger les lignes, sinon swinguer une chanson qui ne pouvait demander mieux.
Car, quand la chanson se met à jazzer, ça peut nous donner des moments inoubliables. J’en veux pour preuve La Princesse et les croque-notes de Mélanie Dahan de 2008 : un chef d’œuvre qui vous en apprend encore de Brassens et de Dimey. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
C’est une autre dame – une franco-américaine qui vit à Toronto – Laura Anglade, qui nous fait tout un album de reprises à destination du public canadien et désormais du public hexagonal, avec une chanson-titre qui dit tout de son projet : Venez donc chez moi. En fait onze titres (des standards français, plutôt des années 40 à 60 si on excepte un titres plus récent de Barbara) revisités avec le talent conjugué de Laura et de son partenaire Sam Kirmayer.
Charles Trenet (Que reste-t-il de nos amours ?), Charles Aznavour (J’aime Paris au mois de mai), Jean Sablon (Vous qui passez sans me voir), Edith Piaf (Pleure pas), Michel Legrand (La valse des lilas), Jeanne Moreau (Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerai toujours), Barbara (Précy jardin et Ce matin-là), Ray Ventura (Venez-donc chez moi), Michel Delpech (Chez Laurette), même un titre extrait des Demoiselles de Rochefort (La chanson de Maxence), c’est objectivement un beau florilège pour l’importation, pour la réappropriation. Mais ce ne serait qu’une play-list de plus s’il n’y avait cette revisitation inspirée, ces adaptations de Kirmayer qui ont, c’est peu de le dire, de la classe, de la distinction. Pas de grand orchestre ici, de cuivres et de batterie, seulement une voix et une guitare (et un accordéon, sur deux des onze titres). Un nouvel éclairage bien venu, autre façon d’envisager des chansons du patrimoine, de les faire exister sous un éclairage insolite, de les protéger de l’oubli. On vous le recommande.
Laura Anglade & Sam Kirmayer, Venez donc chez moi, Justin Time Records 2022. Le site de Laura Anglade (en anglais), c’est ici. Celui de Sam Kirmayer, là.
Laura Anglade est en concert en Quartet au Sunset-Sunside à Paris 1er le 11 juin à 18h
Merci Michel Kemper de nous faire connaître ce disque, il est très réussi !
Le jazz était bien présent à l’époque des Trenet, Mireille ,Ray Ventura , et ensuite Vian, le Gainsbourg des débuts, bien d’autres encore et puis « la mode » est passée , Nougaro et Michel Legrand étaient bien seuls. Néanmoins l’influence du jazz, qui n’est pas que swing – ce serait réducteur -, est restée très forte chez Brassens , le choix des musiciens chez Bertin, Dautin,par exemple donnait un esprit très libre à leurs concerts et même à leurs disques.
Dans un esprit plus swing, Sanseverino a bien mis à l’honneur le style manouche, Thomas Dutronc aussi pour la « variété » , bien plus sagement .
Sinon, je ne sais pas ce qu’il en penserait, j’ai toujours trouvé l’approche musicale de Dick Annegarn très proche du jazz.
Merci encore aux enchanteurs de nous replonger dans cette musique…
La chanson de Maxence est décidément un régal.