Didier Tronchet, petit éloge et grande passion
Voici un ouvrage qui, malgré son apparente modestie, mérite une place de choix dans la bibliothèque de tout amateur de chanson qui se respecte. Son auteur ? Le dessinateur (surtout)-scénariste-romancier-réalisateur-journaliste Didier Tronchet, dont NosEnchanteurs, en son temps, vous avait déjà hautement recommandé la lecture du roman graphique Le chanteur perdu.
Ce n’est pas en tant qu’auteur de bande dessinée qu’il s’en vient aujourd’hui garnir les étals des librairies, mais bien en qualité d’essayiste occasionnel. Tout lecteur assidu de son œuvre sait que l’homme a deux passions : le football (qu’il a déjà abondamment abordé) et la chanson française. C’est cet amour qu’armé de sa plus belle plume, il nous partage à présent. Cela donne un opuscule de près de 200 pages au titre clair, précis et alléchant : Petit éloge de la chanson française.
La promesse est tenue. Le livre se dévore d’abord d’une traite, le sourire aux lèvres et l’esprit aux aguets. On y revient ensuite pour reparcourir les passages les plus porteurs d’émotion ou de réflexion. Ce dithyrambe ainsi dressé par l’auteur est bâti sur un amour sans faille. C’est que la chanson, l’auteur l’apprécie toutes catégories confondues. Point n’est question pour lui de trier le bon grain de l’ivraie pour ne nous vanter que les mérites de la « bonne chanson française », qu’on opposerait à la « mauvaise chanson commerciale ». Reconnaissant avec franchise être passé par cette phase de talibanisme, qui le poussait à honnir tout ce qui pouvait ressembler à un tube populaire, Didier Tronchet admet en être revenu et ne plus bouder le plaisir que peuvent également apporter une mélodie ou des paroles bien tournées, quoique sans prétention aucune. Les chansons sont des bulles de savon, dont on ne peut pas déplorer la légèreté : c’est leur principe actif !
C’est donc guidés par cet éclectisme de bon aloi et cette absence d’œillères que nous remontons le fil des souvenirs de l’auteur, goûtons à sa nostalgie, apprécions ses connaissances, rions même de ses bévues et de ses excès. Le coming-out chansonnesque est total : nous saurons tout de son penchant pour Brassens, Beaucarne ou Leprest, de son admiration pour Foule sentimentale, de son intransigeance vis-à-vis des écouteurs de chansons « d’une oreille distraite », de ses amours toujours reliées à l’un ou l’autre titre, de ses rencontres, réussies ou loupées, avec les idoles de sa jeunesse, de sa très très brève carrière d’auteur-compositeur-interprète…
Illustration implacable de l’adage selon lequel « C’est en parlant de soi que l’on parle le mieux des autres », cet éloge se révèle surtout un épatant miroir où chacun peut se reconnaître peu ou prou. Sa lecture est l’occasion de revivre ses émotions premières, lorsque paroles et musiques s’avéraient être les meilleures compagnes pour nous consoler, nous emmener au loin, exprimer nos révoltes ou nos sentiments mieux que nous ne l’aurions pu. C’est bien l’immense mérite de ce livre que de souligner combien cette petite chose qu’est la chanson, tant méprisée par l’intelligentsia, façonne nos vies sans en avoir l’air.
Que dire encore ? Que ce petit éloge, écrit d’une plume alerte et traversé d’éclairs d’humour, reprend la série des seize illustrations – tout en second degré – de « chansons déprimantes » parues jadis dans Libération. Qu’il suscite l’envie de (re)découvrir maints morceaux évoqués au fil des pages, tâche facilitée par l’auteur – grand partageur devant l’éternel – qui a concocté plusieurs playlists à cet effet. Qu’il provoque maintes bouffées de nostalgie bienfaisante et déchaîne les passions, certaines positions de l’auteur pouvant ne pas trouver forcément grâce à nos yeux. Qu’il est enfin source de plaisir et d’érudition à la fois.
Qui dit mieux pour 12 euros ?
Didier Tronchet, Petit éloge de la chanson française, Les Pérégrines, 2022.
Sur le site de l’auteur, retrouvez les playlist évoquées ci-avant : https://www.jeanclaudetergal.fr/index.php/petit-eloge-chanson-francaise
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