Gervaise et Garance, entre le bar et la cuisine
19 avril 2022, Le Cancan Pigalle à Paris,
Gervaise et Garance jouent au Cancan Pigalle. L’une après l’autre, les deux chanteuses et amies vont développer en chanson les thèmes qui leur sont chers. Il est question de féminisme, de liberté et de solitude, de luttes et d’amour. On repense à leur co-plateau quatre mois plus tôt à la péniche Marcounet. Mais l’ambiance ce soir est plus intimiste : une scène coincée entre le bar et la cuisine dont la cloche du passe-plat vient régulièrement ponctuer les chansons, une petite salle toute en longueur au public chaleureux, propice à l’expérimentation.
En première partie, Garance prend le risque de chansons inédites : seule en scène avec sa guitare, elle partage ces textes issus des confinements. On y sent les doutes et la mélancolie – « me laissez pas toute seule » dit sa berceuse d’ouverture comme pour se rassurer -, l’envie d’une vie plus reposante quand elle chante au public : « reprenez vos applaudissements ! ». Elle se dévoile tout en pudeur dans « pendant que les femmes tombent », hommage à Anne Sylvestre écrit la nuit de sa disparition. C’est dans ces petites touches d’intimité, ce délicat tressage du quotidien que ses textes excellent. Comme tous ces détails accumulés qui nous font deviner la vie de deux amoureux qui s’écrivent « je t’? » et se répètent que c’est la dernière fois… mais la dernière fois que quoi ? Pour le découvrir, il faudra aller jusqu’au bout de cette chanson fleuve qui ne laisse pas un instant de répit.
L’humour n’est pas en reste, avec son désormais classique « tous mes amants s’appellent Thomas », ou dans « ça va les gars, ça va les filles », une chanson malicieuse au côté clivant assumé qui lui permet d’entraîner la salle entière à entonner en chœur « allez vous faire déconstruire ». Des questions à la pelle sur le genre qui reviennent frapper dur et juste quand elle se demande : « une femme c’est quoi ? » Alors « prends toi ça dans les dents », encore et encore ! Elle égrène la litanie des sacrifices à consentir pour sortir des clichés et des carcans. Et de conclure : « un homme c’est quoi ? […] est-ce que tu te poses aussi la question ? »
Gervaise aussi prend le risque d’innover avec un concert entièrement acoustique, accompagnée de ses deux boys, guitaristes en habits à paillettes. Loin de ses habituels arrangements synthétiques légèrement rétros, les chansons de la « badasse au cœur tendre » ne perdent pas au change leur dynamisme électro-pop. Dès les premières notes d’une « mauvaise fille sur la piste de danse », une femme se lève dans le public pour danser. La tension et le rythme montent d’un cran quand elle fait chanter le public sur « ça déchire », et la violence urbaine ordinaire déboule crûment lors d’un « flirt avec l’orage ». Il peut falloir du temps pour apprivoiser les chansons de Gervaise, sa verve, son énergie brute — je me souviens les avoir reçues comme un crochet à l’estomac lorsque je l’ai découverte sur scène pendant le Festi’Val-de-Marne 2020.
Mais elle assume sans complexe les multiples facettes de sa personnalité, et se dévoile dans d’autres titres plus doux et lents. Accompagnée de la harpiste Francœur, elle nous entraîne ainsi dans « l’amour est un vendeur de roses », et révèle ses failles dans « quand j’enlève tout » sur une ligne de guitare dépouillée à l’extrême. Dans « j’ai le seum », elle explore délicatement la difficulté d’assumer la solitude.
Le concert s’achève avec tous les artistes sur scène pour une belle interprétation du dernier single de Gervaise, « j’le féminin », avec Alan en incroyable beatbox, et Francœur et Garance aux chœurs. Et enfin une une chanson d’amour interprétée en duo par Gervaise et Garance, inédite et légère qui annonce un bel été (en)chanté.
Le site de Gervaise, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là ; le site de Garance, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
A noter, pour les parisien.ne.s que nos deux héroïnes seront ce samedi 21 mai les co-invitées d’une table ronde consacrée à « La chanson à l’heure des femmes », en compagnie du label Fraca au grand complet (Katel, Emilie Marsh & Robi).
Ce sera en entrée libre à 15h, à la médiathèque Valeyre, 24 rue Marguerite de Rochechouart, métro Cadet.
L’occasion aussi de découvrir le fonds de disques spécialisé Chanson, unique dans tout Paris !
Et un autre petit pour préciser que le fameux co-plateau au Marcounet, dont il est question ici, a eu lieu dans le cadre des Dimanchanteurs, dont vous retrouverez la programmation ici
https://m.facebook.com/LesDimanchanteurs/photos/a.1422431454567604/2354051481405592/?type=3
Prochaine édition ce dimanche 22, avec Petite Gueule et Laurent Madiot !