La chanson et Dieu : un sujet commun
« Ah, disait le bon Dieu, je ne souhaite à personne de faire le métier de bon Dieu ! » (Le bon Dieu – Julos Beaucarne, 1979)
D’abord dans les pages du mensuel Paroles & Musique puis dans celles du trimestriel Chorus, Michel Trihoreau s’est amusé, en grand connaisseur du genre, à nous instruire de là où se nichait la chanson, de ce qu’elle nous entretenait aussi, par des thématiques fort érudites, chaque fois sur trois ou quatre pages.
Il lui en faut cette fois-ci deux cents pour nous parler de Dieu, et ce n’est pas rien. Du personnage, réel ou supposé, de son omniscience, de son job tellement grand qu’il ne saurait être partout à la fois. Outre le fait de siéger quelque part tout là-haut, veillant dit-on à la destinée de ce bas-monde, on ne savait pas à quel point Dieu était aussi l’inspirateur de chansons, tant que les paroliers lui doivent fière chandelle, qu’il pourrait faire valoir ses droits à la Sacem.
Si les plus vieilles chansons dont nous avons trace sont religieuses, enluminées sur parchemin par des moines qui ne faisaient rien qu’à copier, reconnaissons que, depuis, la chanson s’est bien défilialisée de l’inspiration divine, prenant souvent ses distances, qui plus est avec l’insolence qui convient. Ou pas.
Toute ? Pas vraiment. Quelques artistes font de Dieu et de leur foi un moteur de leur création. Si Trihoreau en fait mention, sa collecte ne pèse pas beaucoup face aux bouffeurs de curés : deux citations pour Mannick, une seule pour Forcioli, une pour Bénin, pas une pour Humenry… la divine balance est quelque peu déséquilibrée. Certes, il y a – et c’est passionnant – la proximité distanciée d’un Bertin ou d’un Béart, et les débuts de l’abbé Brel. Notons cependant qu’à la commissure des vers, parfois le doute s’insinue.
Dans ce florilège qui met Dieu dans tous ses états, les pages manquent, le corpus est un peu étroit. Corpus où Brel, Brassens, Béart (nos 3 B) sont auscultés avec grande précision, où Ferré se taille la part du démon, et les citations fourmillent. Par de multiples extraits, Trihoreau nous remet en mémoire de grands moments de la chanson. Du Joyet, du Tachan, de l’Escudero… c’est réjouissant !
Convenons que la moisson présentée ici est déjà si riche que ce livre inédit justifie amplement le sacrifice de l’arbre qui s’est fait papier. Ça donnerait presque envie de se pencher sur comment Dieu vit en chansons dans d’autres pays, d’autres cultures, tout du moins celles où le blasphème a droit de cité. On me dit que ce n’est pas si fréquent.
Il y aurait des tas de façon de commenter, de chroniquer le travail de recensement et d’analyse de notre confrère Michel Trihoreau. C’est en cela qu’il est précieux.
Et notons avec amusement que Dieu est tellement banal dans la chanson qu’il en est devenu, sinon un lieu commun, au moins un nom commun. « Nom de Dieu » chante-t-on en toute innocence, comme si le Saint Père venait en renfort chaque fois qu’il manque trois pieds pour finir son alexandrin.
Michel Trihoreau, À Dieu la chanson, L’Harmattan 2022, 202 pages, 20,50 euros.
« L’univers perd les pédales / Et Dieu dans tout ça : que dalle ! » (Dieu nous a laissé tomber – Pierre Louki, 1996)
« Est-ce la main de Dieu / Est-ce la main de Diable / Qui a tissé le ciel / De ce beau matin-là » (Chapeau bas – Barbara, 1963)
« Et si vraiment Dieu existait / Comme le disait Bakounine / Ce camarade Vitamine / Il faudrait s’en débarrasser » (Le chien – Léo Ferré, 1970)
« Comme un novice je partirai / Pour aller prier le bon Dieu » (La haine – Jacques Brel, 1953)
« Abderhamane, Martin, David / Et si le ciel était vide ? / Si ces vies qui chavirent / Ces yeux mouillés / Ce n’était que le plaisir / De zigouiller » (Et si en plus y a personne – Alain Souchon, 2005)
« Je frissonne d’effroi au moment du partage / Mangez ça, c’est mon corps ; buvez ça, c’est mon sang / Me voilà tour à tour vampire, anthropophage ! / Ce morceau d’épouvante est vraiment oppressant » (Ma bible – Bernard Joyet, 2004)
J’espère que dans ce livre-somme, Michel Trihoreau n’a pas oublié la sympathique – et réaliste – chanson de Hugues Aufray « Le bon Dieu s’énervait« , ni bien sur « C’est au lever du jour » du même chanteur.
Quoi qu’il en soit, un livre à acheter. Ce que je vais faire.