Arno, 1949-2022
On peut faire les malins, cacher ses larmes en se disant qu’on s’y était préparé, que ce n’est que la chronique d’une mort annoncée, n’empêche que ça cogne, que le coup est dur. Fuck le cancer ! Le fleuve Arno est rentré dans son lit, pour toujours, à jamais. Il y a encore peu, il était sur scène, mesurant le peu de temps qu’il lui restait.
On ne vous refera pas ici le cours de sa vie, pour la bio lisez la presse et ces hommages qui trépignaient d’impatience sur le marbre. Au pire, wikipédiez.
Ceux qui ne connaissaient Arno que sur disque ou à la télé ne le savaient pas tout entier. C’est sur scène qu’il était plus encore Arno, le sublime, le magnifique. Clope entre les doigts, balançant d’une pogne l’autre le pied du micro, titubant ce qu’il faut, il aimait à se donner l’allure d’un clodo aux atours d’un chanteur de charme. Voix grave, râpée, rugueuse à l’extrême, presque négligée, nicotinée c’est sûr, gorge chaude qui pétrit des mots sans calcul, hors l’émotion. Tout dans son art, dans ses chansons, était un bouleversant condensé de la vie, la mort « et tout l’bazaaaar ». Des textes tantôt voluptueux, tantôt poisseux, dans la démesure d’un rock envoûtant, limite tribal. Du chic et pas cher que je vous jure sans prix, d’une valeur sans égale. Arno, c’est une attitude, un trop plein d’émotion, un truc d’en dedans qui vous dit qu’il ne trichait pas, même quand il se la jouait Bukowski, même quand il plongeait dans les yeux de sa mère, même quand il valsait, avec ou sans son compatriote Adamo, avec les filles en bord de mer. Quand, assis sur le rebord de scène comme sur le rebord du monde, il vous chantait quasi en confidence d’autres et sublimes chansons, plongée en un drôle d’univers aux personnages singuliers et attachants, d’une profondeur humaine sans égale, dramaturgie onctueuse suintant la souffrance comme le bonheur. Arno était, à sa façon, une de ces insolites bêtes de scène qu’il faut avoir applaudi pour savoir ce que chanson veut dire.
Après moult reports, le visage miné par la maladie, Arno était finalement remonté sur scène en février dernier, pour quelques dates à Bruxelles et à Ostende, sa ville natale, comme on boucle une boucle. Point final.
« Regarde les traces de mes larmes / Faire pleurer c’est mon jeu » chantait-il aussi. C’est réussi.
Retrouvez le reportage photographique de Vincent Capraro en 2016.
« Les yeux de ma mère » clip officiel
« Putain Putain » Live
« Oh La La La » Live à Ancienne Belgique 5 février 2022
Ostende broie du noir, nous, nous pleurons à froides larmes, un bel humain au magnifique panache de fraternité.
Oui, Arno, dans ton âme il y avait vraiment une belle lumière. Chante-nous ton blues de là-haut de ta voix d’écorché au coeur tendre. Ciao l’artiste !
Un grand merci, Michel, pour cet hommage à Arno. J’ai toujours beaucoup apprécié ses reprises de Caussimon et Ferré (Comme à Ostende), Moustaki (Sarah), Gainsbourg (Elisa)… Mais ce sont surtout celles de chansons du Grand Jacques auxquelles j’avais énormément accroché et ce, d’entrée de jeu. Tout d’abord Le Bon Dieu, sur l’album A la française (1995) puis – et surtout – Voir un ami pleurer sur French Bazaar (2004). Très rares sont les reprises de Brel qui me touchent comme celles-ci !