Nour nous offre un grand cru
Qu’est-ce qu’un grand cru ? La combinaison harmonieuse de plusieurs éléments. La recette chère aux amateurs de millésimes s’applique au nouvel album de Nour au titre en forme d’oxymore, « L’élégance des mots crus ». Avec des textes foisonnants où la touche de surréalisme dérange la routine et les effets trop attendus. Et des musiques qui dessinent des ambiances contrastées. Les accompagnements de cordes ne sont pas d’abord sensibles ou caressants, les cuivres aiment troubler le jeu et le piano se destine à évoquer l’intime. Quant à la voix, le jazz y a fait ses gammes. Jusqu’à la pochette construite pour étonner, avec des coupes de fruits et légumes (une pastèque et un poivron) en forme d’auréoles profanes. Le lointain héritage de Boris Vian évoqué ne laisse pas de doute sur la direction souhaitée : ne pas être sage.
Après avoir pratiqué d’autres métiers (secrétaire médicale, enseignante d’art-thérapie notamment) Nour a décidé de rester en chansons, la vocation de son jeune âge. Pour notre plus grand plaisir. Installée en France la Suissesse d’origine signe là quatre ans après le premier un deuxième album de reconstruction nécessaire après quelques tempêtes dans sa vie. Primé lors d’un récent festival Jacques-Brel (Vesoul) le style de Nour n’épargne personne. Et tout d’abord elle-même. Avec la conviction que les fragilités ne sont pas vaines et qu’il s’agit alors de se relever. Le premier titre, Impulsive, dresse un auto portrait sans concessions de l’auteure compositrice. Les mots claquent « Tellement impulsive / Que c’est bien moi qui tiens la chandelle que je brûle par les deux bouts / Tellement impulsive que je me mords sept fois les doigts dans la bouche ». S’en suivent des titres où se côtoient le crade sinon l’insolite et l’élégant dans une alchimie maîtrisée. Comme pour se délester de poids trop lourds à porter. Souvent conjugués à la deuxième personne du singulier les propos tutoient l’adversité. Le chemin en forme de cul de sac peut apparaître libertin. Les mots crus, par exemple, laissent entendre un dialogue entre un homme et une femme donnant libre cours aux désirs mutuels. La clé se trouve sans doute dans le sentiment de l’éphémère qui trace les destins parfois contrariés (Le ballet). Poupées de plomb, soldats de porcelaine laisse éclater la vérité de nos fragilités : « On a beau vouloir se sentir fort / Se sentir puissant mais alors / Elle est bien vaine la course folle / Qui se termine tout seul / Quatre planches et dans un linceul / Mais… ». Tout dans le répertoire de Nour est dans ce mais. Le grand vide, un titre écrit durant les confinements invoque cette conviction de renaître plus forte après la bourrasque. L’énergie de Nour est communicative où l’élégance au final s’impose. Celle d’une artiste qui se veut bâtisseuse de ponts, reliant les générations et les cultures. Accompagnée par ses musiciens de scène (Automne Lajeat au violoncelle, Viviane Hélary au violon et Thomas Benoit à la contrebasse), Nour se joue aussi des styles musicaux. Du registre classique au rock. Pas question pour l’artiste de se limiter à des cercles fermés. Après avoir fait quelque chose de ses épreuves elle songe à monter son propre label. Artiste-artisan ? La carte de visite convient à une indépendante qui sait aussi s’entourer.
Nour, L’élégance des mots crus, Asso Niz 2022. Le site de Nour, c’est ici.
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