Farley, de quoi mettre en alerte
Dès que j’ose m’écarter de mes pistes trop balisées de la chanson, je prends des risques et forcément compte par paquets de dix les désillusions. Dans le lot des piles de disques en attente, il en sort cependant, régulièrement, des pas communs, des lumineux, des qui ont de quoi dire, de quoi (en)chanter. Farley est à l’évidence un de ceux-là.
Longtemps bassiste pour des tas d’artistes de renom (forcément vous l’avez déjà vu et applaudi sur une scène, avec Gotainer, Black Joy, Gérôme Gallo, Michel Fugain, à la Star Academy même ; écouté sans trop le savoir sur des disques de Paco Sery, Juan Rozoff, Faudel, Tom & Joy, Sandra N’kaké ou Grand Corps Malade ; compositeur d’Amel Bent… la liste est longue comme un jour sans vin), il a franchi sur la tard le Rubicon de la chanson, histoire de capter pour lui seul les sunlights de la renommée. C’est en 2011 qu’il sortit son premier album, En guise de bonjour, reflet de ses expériences musicales. Nous avions salué cet album à sa sortie.
Dans l’hagiographie aimablement fournie par ses attachées de presse (merci Yasmine et Danaé), le « romantique » Farley y est qualifié de « céleste ménestrel, guerrier du groove, troubadour poétique, saltimbanque électrique, bouffon polyrythmique ». Point trop n’en faut, n’empêche que cet homme-là sait se faire remarquer, par des sujets aux angles de vue pas vus pas entendus, aux incises remarquables, avec cet art de capter l’oreille, de la retenir, de s’en faire complice. Il y avait déjà ces photos, de la pochette, du dos, du livret… que de la mise en scène et déjà des dramaturgies. Et ces textes et musiques en plans serrés, où le regard s’exprime, sans jamais cligner : « Même si c’est fini / Tu gardes un œil sur lui / Et ce s’ra pour toujours ». Même s’il « voi[t] tes photos / contre mon gré » il les voit, et ça le travaille. La vue, l’aspect, la perspective, une peau nouvelle, c’est gros plan sur le derme, le corps dont la sexualité d’un sax… « J’ai la chemise ouverte / Sur mon torse velu / De quoi mettre en alerte / La plage de Malibu ». Les mots sont à leur place, qui se jouent d’eux-mêmes, s’enlacent, se troublent : « Je dors en slip / Quand j’raidis, c’est prêt ».
N’écoutez pas ce disque sur votre auto-radio, cause à la magie de ses assauts. Préférez le canapé et le ventilo, propices à la suggestion : « J’veux pas d’rencontre / Juste être contre / Et faire peau neuve / Et encore fuir / Pour mieux guérir / Mon âme veuve ».
Ce disque physique et sensuel, écrit par Guillaume Farley (à l’exception de deux titres, l’un signé Nicolas Jules, l’autre en anglais signé Roch Havet), aux musiques alternant le tendre et le musclé, le ludique parfois (ainsi l’excellente chanson-titre, qui tente de percer le blindage), est d’un bout à l’autre un régal pour qui y entre sans entrave ni retenue.
Michel KEMPER
Farley, Blindé, Autruchon productions 2022. Le site de Guillaume Farley, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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