Pierre Lapointe, les saisons de l’absence
Le nouvel album que Pierre Lapointe nous présente, réalisé par Philippe Brault a ceci de particulier, outre qu’il comprend plusieurs titres d’autres auteurs, qu’il est destiné à illustrer musicalement l’œuvre d’un peintre. On se rappelle la formation picturale puis théâtrale de Pierre Lapointe. Il reste un créateur d’art total et aime travailler avec d’autres artistes.
En 2011 il accompagnait l’architecte Jean Verville pour l’exposition Big Bang au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Le revoici aux côtés de l’artiste peintre new-yorkais d’origine suisse Nicolas Party, qui présente ses œuvres au MBAM jusqu’au 16 octobre 2022*, dans un parcours au son des ballades de Pierre Lapointe. Des œuvres murales, des acryliques, des pastels et des sculptures androgynes composent un décor essentiellement végétal, symboliste, évoquant la fragilité de notre environnement menacé, en résonance avec des tableaux de la collection permanente du musée choisis par l’artiste. Tels cette Heure mauve d’Ozias Leduc (1921), moment de transition entre jour et nuit, qui donne son nom tant à l’exposition qu’à l’album de Pierre Lapointe, ce tableau tourmenté de Ruine de Bocklïn ou cette Charrue des années 30, d’Anne Savage, qui semble avoir éventré le paysage.
Pierre Lapointe nous fait voyager au fil des saisons et des absences au gré des souvenirs qui remontent ou s’effacent, où le temps s’abolit. De même que Nicolas Party mélange ses propres créations avec les œuvres de la collection du MBAM, Lapointe entrelace ses chansons avec les œuvres de poésie, comme Le serpent qui danse de Baudelaire qui inspire la couverture de l’album, œuvre de Nicolas Party, et les chansons et musiques des grands maîtres, jusqu’à la gnossienne de Satie, ou le Youkali de Kurt Weill, tango-habanera instrumental, par la grâce de Lapointe tendre paradis perdu.
La sensuelle Danse du Conquistador répond vers après vers à la chère indolente, devenue phare nu et glorieux, « Ta peau douce couleur de l’or devient tourmaline / Tu seras mon conquistador saoul d’adrénaline ». L’hymne à l’automne, « Les arbres dégarnis de leurs feuilles jaunies ont l’air de pleurer ton absence » fait écho à la renaissance de L’hymne au printemps de Félix Leclerc, Les fleurs d’une autre dimension font mélancolique métaphore de notre finitude, « Fleurissant quelques heures le temps d’une chanson / Accumulant amours, guerres et trahisons / Pour oublier le jour où tous nous fanerons », après Où sont les fleurs, popularisée par Marlène Dietrich, qu’il nous chante en allemand.
La neige si fréquemment peinte par les peintres québécois, telle cette Heure mauve, est traduite en gouttes dissonantes du piano de Philipp Chiu, co-composée sur ordinateur avec Philippe Brault ; tourbillonne en un étincelant manège dans L’hiver de Vigneault /Léveillée ; ou retombe en légers flocons sur Aujourd’hui la neige revient, « Et chaque nouvelle saison / Me laisse un goût de trahison / La mémoire est un spasme étrange ».
Cet album, somptueusement orchestré de cordes, de vents, de chœurs entre rock, chanson et musique expérimentale, reste chic et sobre jusqu’à la Pépiphonie, sorte de conte utopique paradisiaque, lyrique et merveilleux. Même si nous n’avons pas la chance de visiter l’exposition de Montréal, Pierre Lapointe nous peint ici un tableau infiniment mélancolique et tendre, épicé de flambées de passions, une œuvre d’une humanité et d’une beauté étincelante, générant une émotion que nous ne sommes pas près d’oublier. À l’image de cette éblouissante interprétation du Non je n’ai rien oublié d’Aznavour, suivie de l’intimiste Le même café, la même rue, qui danse au bord des larmes.
*Voir la présentation de l’exposition au MBAM
Pierre Lapointe, L’heure mauve, Pépiphonie-Bonsound, 2022
Le site de Pierre Lapointe, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
En tournée de concerts au Canada, et en France et en Belgique du 7 mai au 18 mai, puis le 14 juillet aux Francofolies de La Rochelle, La Coursive au Grand Théâtre.
« L’hymne à l’automne »
« Non je n’ai rien oublié » Aznavour
« Youkali » Kurt Weill
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