Boucan, de bruit et de fureur
En 2019, armé de son album Déborder, Boucan débarquait avec fracas sur nos lecteurs, bousculant au passage tous nos repères pour imposer un son neuf et une musique qui ne ressemblait qu’à elle-même. Coup de foudre instantané à effet durable, l’opus n’ayant depuis lors toujours pas quitté ma playlist personnelle.
L’avenir s’annonçait donc radieux pour le trio caché derrière ce détonnant pseudo : Mathias Imbert le contrebassiste, Brunoï Zarn le guitariste et Piero Pepin le trompettiste. Il faut croire que la camarde en a tiré ombrage, qui s’est empressée de venir mettre son grain de sel dans cette machine qui tournait trop bien. Sans coup férir, elle envoya le troisième comparse souffler dans son instrument sous d’autres cieux moins cléments.
C’est donc réduit à un duo, renforcé sur quelques morceaux par de talentueux complices, que Boucan nous revient aujourd’hui, avec un second album intitulé Colère mammouth. Colère devant l’injustice du décès inopiné de leur ami musicien, alliée à la hargne suscitée par cette période de confinement, de répression douce et de mésentente généralisée. Mammouth car on ne saurait dans ces circonstances se contenter de peu. Ça va déborder, chantait Boucan dans son premier disque. Il y a des chances que, effectivement…
L’album débute sur les chapeaux de roue, avec la chanson bien nommée Contact. Un rif de guitare entêtant, des paroles au cordeau (Il est étroit l’espace qu’on laisse / Entre la racine et la fleur, la naissance et la mort / Il est étroit deux un / Contact), un chant mordant… Le ton est donné, Boucan ne donnera pas dans la mélodie doucereuse, ni la poésie lénifiante. C’est dit : l’énergie prédominera, sans que ce ne soit cependant au détriment de l’émotion. La preuve avec le deuxième morceau, Tout ce qui ne vaut rien, ballade folk au banjo serein et aux chœurs célestes assurés par le quintet polyphonique La Mossa. Une poignante énumération d’images illustrant la valeur de la vie (La fenêtre ouverte / La bière offerte / Un enfant rebelle / Un homme debout / Ta main sur ma main), magnifiée par le chant mélancolique de Mathias Imbert.
Colère mammouth déroule ainsi son fil implacable, suscitant chez l’auditeur autant d’enthousiasme enfantin que de fureur libérée. Coup de poing caressant, boule de force tranquille, orage sec et tendu, l’album nous transporte au gré de ses humeurs, entre sonorités country-folk et déchaînement punk, entre rock barré et fanfare tzigane. Du festif Oh ma lo au glaçant et martial C’est un ordre, du Prison aux allures de reggae à l’ésotérique Chakras du chat, en concluant par le foutraque La Duende digne d’un film de Kusturica, tout se mélange pour former au final un ensemble cohérent et original. Saluons donc au passage l’excellent travail de production de Oz Fritz, vieux complice de Tom Waits, dont le rapprochement avec Boucan ne saurait être fortuit.
Goûter à Boucan, c’est se plonger dans un bain musical, aux paroles parfois rares (nombre de chansons sont en yaourt, le son de la voix suffisant amplement), porteur d’une vitalité revigorante et d’une salutaire pugnacité. Le visuel de l’album annonce d’ailleurs d’emblée la couleur : une mère et son enfant dont les visages ne sont que lave incandescente. Le feu et la douceur, le calme et l’explosion qui guette. Boucan, quoi !
Boucan, Colère mammouth, Popatex/L’Autre distribution, 2022. Le site de Boucan, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit du groupe, c’est là.
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