Chloé Lacan, Nina Simone, accepter qui je suis
4 février 2022, Bouc Bel Air, Salle Charles Aznavour,
C’est dans cette salle municipale récemment rénovée et rebaptisée que nous retrouvons ce spectacle de théâtre musical, hommage à Nina Simone, qui habita de longues années à Bouc-Bel-Air de 1993 jusqu’aux début des années 2000, et dont le caractère volcanique a laissé ici des souvenirs. Chloé Lacan que nous avons connue en solo et en trio se retrouve ici dans la mise en scène de Nelson-Rafaell Madel, en duo avec un de ses plus fidèles complices, Nicolas Cloche, qui faisait déjà partie du groupe déjanté La crevette d’Acier en 2006 et que nous avons retrouvé à Avignon dans Ménage à trois en 2016.
On sait que Chloé est une femme orchestre, qui a commencé par le théâtre. Un tempérament de feu qui lui permet d’être à l’aise autant en chanson, du jazz, avec déjà une prédilection pour Ella Fitzgerald et Nina Simone, au world en passant par le lyrique, l’humoristique et la variété, qu’en danse ou en performance scénique, seule ou en groupe, au piano ou à l’accordéon. Et puis surtout de se raconter en tant que femme, sans tabou, avec une grande liberté et justesse. L’idée de consacrer un spectacle à cette Nina Simone, femme libre et fantasque devait la tarauder depuis longtemps.
Elle le construira comme un parallèle entre sa vie de jeune fille cherchant à l’adolescence à être parfaite, à faire ce qu’on attend d’elle, à faire plaisir, et celle de Nina Simone. Qui n’est ni de sa génération, ni de son pays, ni de sa couleur, mais partage pourtant les mêmes aspirations à se réaliser, le même rêve de réussite et de liberté, ne se contentant pas d’un destin tout tracé. Ceux qui s’attendaient à un biopic de Nina Simone seront surpris, le sujet est ailleurs, personnel autant qu’universel, et tout d’abord, féminin.
L’occasion de faire de la philosophie-sociologie sans s’en apercevoir, en s’interrogeant, à travers son histoire personnelle, sur le besoin qu’ont les êtres humains, et singulièrement les femmes, d’être conformes à ce qu’on attend d’elles, dans le but ultime d’être reconnue sinon aimée. Plaire à son père, plaire à sa famille, plaire aux gens. Ce qu’on appelait « être convenable », au sens strict du terme, un mode de fonctionnement tout à fait encouragé par la société. On l’accompagnera donc à la messe avec sa grand-mère née en Algérie, aussi pleine de bons sentiments que de convenances et d’a priori, d’idées sinon racistes du moins paternalistes, celle qui l’appelait « ma chatte ». Ou auprès de ses parents d’origine tant normande que catalane, ce qui peut expliquer la variété des goûts et des aptitudes de Chloé. Une mère inflexible, un roc qui ne pardonne pas et met dehors son père…
Chloé, vêtue d’un t-shirt et jean, toute mince, jouant en duo du ukulele, paraît semblable à l’adolescente qu’elle fut, se conte avec énergie et se chante avec des textes en français affutés. Elle raconte ses 15 ans, sa honte face aux premiers regards des hommes, ses joues en feu « comme un consentement ». Ses 19 ans où elle prend conscience des défauts de sa grand-mère, fait la comparaison entre les ratonnades et les noirs lynchés « Ce ne sont pas des fruits ». Cherche l’amour « Deux gouttes d’eau dans un grand océan ». C’est, petit à petit, la prise de conscience, le temps de la révolution, symbolisé par le changement de tenues : pour Nicolas un jean étroit et t-shirt ethnique, au lieu du bleu de travail initial, tagué au dos solitude, pour Chloé une combinaison pantalon noire.
Nina hantait les chorales et recevait des cours de piano. Elle rêvait de devenir « la première concertiste classique noire en Amérique ». Et son refus à l’examen d’entrée de l’Institut de Musique Classique de Philadelphie, qu’elle attribue au racisme, « Égaux mais séparés », lui laisse à vie une amertume, figurée dans la pièce par la bannière Colère sur le piano, malgré les succès ultérieurs,.
L’occasion d’entendre du Bach, du jazz (ragtime débridé au piano), du negro spiritual (poignant Sinnerman), du world figurant la partie « Clubs » de Nina, avec un virtuose numéro de percussions de Nicolas Cloche à plat mains ou en baguettes frôlées. La musique du diable, disait la mère de Nina. De l’ukulele, de l’accordéon qui palpite en légers mouvements, crée des atmosphères… Du dit, du chanté (plus en français qu’en anglais), beaucoup de rythme…
Un spectacle explosif, dramatique, lyrique, un tonnerre d’applaudissements. Et le conseil de Nina (la petite, et Simone pour… Simone Signoret !) de ne jamais se taire, se traduit en boîte à rythme humaine, un cœur qui bat et qui vit.
Chloé Lacan, Nicolas Cloche, J’aurais aimé savoir ce que ça fait d’être libre, Théâtre musical (titre traduit d’une chanson de Bill Taylor, 1963, popularisée par Nina Simone en 1967). Le site de Chloé Lacan, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
En tournées de concert, prochaines étapes le 10 février à Rumilly et le 18 février à Rodez, autres dates sur son site.
Présentation spectacle
Sinnerman, repris d’un précédent spectacle
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