Iaross, entre apnée et apesanteur
Quatre ans après Le cri des fourmis, Iaross réitère l’exploit avec ses cris de révolte, ses plages de repos où reprendre son souffle. Une langue poélitique*, faite d’anaphores et de sons qui cognent, résonnent, caressent, dans une musique qui nous prend dans un tourbillon qui ne nous lâche pas, nous balance et nous laisse quand même espérer la lueur qui nous éclairera.
C’est un album qui navigue entre apesanteur et apnée, dans les métaphores qui leur sont chères, liées aux éléments, l’air de l’espace étoilé, les flots de la Barbarie où il convient d’entre-nager, « Puisque la mer est transie sur un lit de lumière », la terre et le feu. Tout se mêle dans cette plainte douce : « La mer dans les yeux s’est comme envolée(…) pour les amoureux pour les rêves en feu / Pour gueuler dans les cieux, ni pour eux ni pour dieu », ce morceau cuivré, ample et fervent comme une non-prière pour la liberté, l’immortalité…
Nous sommes portés par les mots, portés par la voix qui scande « La vitesse et le vide (…) avant que la vie cesse », le poing levé comme à la manif. Petits Pantins qui marchent « sur un fil et sans repère » sous l’ignorance, dans le désamour. Les solitudes individuelles se fondent au sort des humains exploités, plainte intime comme revendication de classe, c’est En marche que nous irons vers Demain, même si « Parfois les mots ça suffit pas ».
Au cœur de l’album sont sertis les morceaux les plus extatiques : ce chant de l’humain qui gronde, L’Incendie, monte en un rock puissant , « A bout de souffle la tête explose », avant de retomber « Comme des milliers d’oiseaux / dans le ciel de décembre », nous peint un ciel entre Turner et Van Gogh, un incendie en mer, une nuit étoilée…
Puis la voix se fait lente, cède la place aux cordes du trio Zéphyr, au violoncelle de Iarossi, aux guitares électriques, claviers et synthés de Colin Vincent, aux percussions de Julien Grégoire, pour nous envelopper loin du tumulte dans cette pluie d’étoiles, loin des contraintes, des malheurs, planer « Au-delà du temps / Au delà des rêves »… Huit minutes de bonheur absolu, La nuit nous appartient, qui s’enchaîne sans pause avec Horizons « droit comme un i, j’relève la tête », une performance totale de près d’un quart d’heure qui vous a mis la tête dans les étoiles.
Comme son aîné Ferré, Nicolas Iarossi a l’art de s’exprimer dans une langue riche de sens pluriels. La fleur n’est peut-être pas rose offerte, mais prémices à « des lèvres bleutées / un baiser un soufflet (…) Et la vie a filé / Sous ton corps épuisé. » Rien n’est simple… « Tout est fragile. » Ce n’est pas par hasard que Iarossi reprend La mémoire et la mer. Disant comme en apnée, serrées, vibrantes, insistantes, les paroles mystérieuses de Léo, dont les plus compréhensibles seraient « Une mathématique bleue, dans cette mer jamais étale / D’où me remonte peu à peu / Cette mémoire des étoiles » avant de s’envoler insensiblement dans un chant lyrique et profond, une houle qui nous inonde de son écume. Léo seul est au fait de toutes ses intentions, mais Iarossi transmet son message, le prend intimement à corps et à cœur, il résonne, universel autant que personnel, en chacun de nous. « Quand la mer bergère m’appelle, comme des moutons infinis » dit si doucement, nous emporte dans ce monde où la vie devient infiniment belle. Sur cette trompette qui divague, et ces notes aériennes, il nous conduit dans ce rêve de Vent fou : « sous la lumière des étoiles (…) Là c’est là / Là t’es là ».
* néologisme de Remo Gary fort approprié
Iaross, Apnée, Label folie, 2021. Un des « Disques de l’année 2021 » de NosEnchanteurs.
Avec en invités : Guillaume Gardey de Soos (trompette, bugle), Joan Eche Puig (Basses), Caroline Sentis (voix), Trio Zéphyr. Le site de Iaross, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit du groupe, c’est là.
Iaross sera en concert le 26 février 2022 à Lautrec au Café Plum et le 30 mars 2022 à Saint-Etienne en première partie de Feu! Chatterton (Le Fil).
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