À la ligne, sensations d’usine
Namur, Le Delta, 17 novembre 2021,
Au départ, il y a un livre paru en 2019, À la ligne, de Joseph Ponthus, décédé en février 2021 à l’âge de 42 ans. Un récit semblable à un long poème en vers libres, écrit sans ponctuation, dans lequel l’auteur, éducateur spécialisé de formation, raconte son expérience d’ouvrier d’usine. D’abord dans une conserverie de poissons, puis dans un abattoir. Un témoignage implacable sur la dureté des conditions de travail, le rythme inhumain du travail à la chaîne, la fatigue mentale et corporelle subie. Une histoire hors normes, dans sa forme comme pour le sujet abordé.
Puis vint la proposition faite à Michel Cloup par son tourneur d’adapter un livre pour la scène. Une expérience inédite pour l’artiste, qui jeta donc son dévolu sur À la ligne. Pour le seconder, son fidèle acolyte, le batteur/claviériste Julien Rufié. Puis, après la défection de Miossec, Pascal Bouaziz, son ami de vingt ans, leader du groupe Mendelson.
C’est ce trio que nous retrouvons dans la belle salle namuroise du Delta. Les sièges ont été retirés, la configuration debout ayant été jugée préférable. À juste titre : ce qui nous attend, c’est une grosse heure de rock dur, hypnotique, qu’on se prend dans la figure et le ventre sans résistance possible. Dans une telle lutte, mieux vaut combattre et mourir debout.
Michel Cloup présente le projet très simplement : « on va vous chanter un livre » ! Effectivement. Sauf que chanter n’est peut-être pas toujours le mot juste, les deux artistes, tenant le crachoir à tour de rôle, donnant surtout dans le cri et la scansion. Ce ne sont d’ailleurs pas vraiment des chansons au sens traditionnel : le texte est issu tel quel du livre, sans mise en rimes, sans construction « couplets-refrain ». Tout au plus certaines phrases sont-elles répétées, comme un mantra lancinant, un constat aliénant : « L’usine nous bouffera, elle nous bouffe déjà », « J’égoutte du tofu », « Il faut que la production continue »…
Sur un fond de guitares saturées et de batterie implacable, nous voilà plongés dans le quotidien du héros, endurant ses tourments, partageant ses douleurs, subissant le bruit incessant de son environnement de travail, goûtant comme lui aux contradictions qui le poussent malgré tout à être fier de son travail (« L’usine m’a eu, je n’en parle plus qu’en disant « mon usine », avoue-t-il). On ressent sa fatigue sans nom, qui le fait culpabiliser quand il prend quelques rares minutes sur son temps de sommeil pour se consacrer à l’écriture, elle-même devenue sommaire faute de disponibilité d’esprit. « J’écris comme je travaille, à la chaîne, à la ligne ». Le passage de l’usine de poissons à l’abattoir (avec la chanson de Boris Vian Les joyeux bouchers pour marquer la transition, seul moment léger du show) n’améliorera guère la situation : « Mes cauchemars sont juste à la hauteur de ce que mon corps endure ». La conclusion est implacable : « Il y a qu’il n’y aura jamais de point final à la ligne » !
À la ligne est un spectacle hybride, brut et sauvage, à mi-chemin entre le concert et la lecture de texte. Le trio y développe un climat angoissant qui s’achève dans une explosion de guitares. Une performance où les tripes sont autant mises à l’épreuve que les méninges, où l’émotion surgit au détour d’un riff ou d’un cri de désespoir. Une expérience unique.
L’album du spectacle : À la ligne, L’autre Distribution/Alterk Distribution, 2020, que NosEnchanteurs évoquait en septembre.
Le site de Michel Cloup, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Pascal Bouaziz, c’est là. Prochains concerts le 25 novembre à Rennes et le 26 à Bobigny, autres dates sur le site de Michel Cloup
Commentaires récents