Patrick Abrial, le noir lui va si bien
C’était en 2015 : le retour tant attendu de Patrick Abrial, l’auteur de Chanson pour Marie (1969) et de Condamné amour (1976), après vingt ans d’absence. C’est pas qu’il s’était rangé des voitures, non : avec son fils Thibault, il composait, réalisait et arrangeait pour autrui, se consacrant aussi à la production de musiques de films, spectacles, séries et téléfilms, publicités, expos, son & lumières ici et ailleurs. De quoi largement occuper son temps et longtemps différer les retrouvailles. Et puis ce retour à la scène, en duo, binôme avec l’étonnant guitariste Jye, dans un mix de rock, de blues et de reggae : un nouvel album (L’arnaque, qui n’en était pas une) et plus de cent concerts, petits lieux comme scènes d’importance, de quoi réveiller l’envie.
Six ans après, un nouvel album, ep de cinq titres, « directement inspiré de l’époque de folie dans laquelle nous sommes sur cette planète » : des histoires d’amour, des histoires de vies, que des titres aux ambiances différentes. Maux en tête, Mots de tête.
Premier titre très rock (repris en fin de disque dans une version qui l’est plus encore) qui liste des suppositions jusqu’au « mal à la tête / faut qu’ça s’arrête ». Ambiance noire et chaloupée, déraisonnée, désespérée, pour un excellent Boulevard du crime. Ça guinche au titre suivant, Mon Gabin. Un assassin, un loup des Carpates, un Gabin qui ne sait pas : galerie de personnages éclairés de la presque pénombre (le noir leur sied si bien) d’une ville grise pas même grisée, qui hésitent, tangotent, un pas en avant, deux en arrière. La pluie. EP glauque, aux ambiances réussies.
« La vapeur du train s’évapore dans l’humeur de la ville / Il pleut des pinceaux, les feuilles volent, les peintres s’affolent / Et la ville est grise / La nuit comme refrain inspire les amoureux en exil / On chante un fado soufflé par Éole… juste quelques paroles / Des mots qui se brisent… »
La poésie s’habille de sombre, la voix est grave, sentencieuse. La peur, la mort parcourent la commissure des mots, hantent des propos sans espoir : « Et la ville est grise / J’ai perdu la mise ». Les cinq plages déambulent, font le trottoir, changent de rues, guère de décors si ce n’est celui d’un cabaret. « Superbe ambiance de fin d’un monde en déliquescence, voix profonde et orchestration puissante et sombre, bien illustrée par les street artists » en disait il y a peu dans ces mêmes colonnes Catherine Laugier.
Patrick Abrial, Mots de tête, Aztec Musique 2021. Le site de Patrick Abrial, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Lien d’écoute : https://Ink.to/PatrickAbrial_A1
Magnifique retour. » La cinquième saison » est un joyau très sombre de cet opus hélas un peu bref pour ceux qui suivent l’artiste depuis des lustres