Brassens 100, Vaison 25
Un écrin au milieu des vignes, pas loin des ruines antiques, le Village-Vacances Léo-Lagrange accueille chaque année ou presque le festival Georges-Brassens de Vaison-la-Romaine. La chanson y est vivante, brillante ou réconfortante. Sur la terrasse, le premier venu muni d’une guitare ose un air de Tachan, de Barbara ou de Leprest, vite entouré de chœurs improvisés. Même si ce n’est pas toujours juste, c’est doux pour la mémoire et souriant à la vie. Ici, chacun en est conscient, le respect et l’indulgence favorisent l’expression libératrice ; c’est ce qui donne à ce festival sa légitimité, sous l’égide du poète. Le public n’a jamais manqué de remercier par de chaleureux applaudissements Georges Boulard, le fondateur de ce précieux rendez-vous, absent pour raison de santé, ainsi que Jean-Marc Dermesropian l’organisateur dévoué et toute l’équipe des Copains qui œuvrent sans relâche souvent dans l’ombre.
Dès le premier jour, le personnel de Léo-Lagrange avait monté un spectacle d’accueil, très apprécié, ajoutant le talent artistique à leur efficacité, à leur disponibilité et à leur gentillesse.
Par la magie de la programmation, les amateurs se font parfois professionnels à l’occasion d’une première partie. Quelques belles réussites se sont dégagées ainsi grâce aux ateliers de chant et de guitare, animés par Erwens, Michel Vivoux, Cathy Fernandez, Jacques Raulet et quelques autres qui ont eux-mêmes assuré de très belles prestations sur leurs propres créations.
Vaison accorde — et c’est justice — une belle place aux interprètes du répertoire francophone, celui qui se distingue par une écriture soutenue et des mélodies bien construites, apanage des épigones ou des cousins du Vieux.
Celui-ci évidemment était à la fête pour ses cent ans, servi brillamment par Michel Avallone et sa voix bien particulière, profonde et chaude, par Renée Garlène et Rodolphe Raffali ou encore par Philippe Forcioli qui a surpris son public en insistant sur l’écriture poétique de Brassens, dépouillé de sa musique, enfin par André Chiron qui a rempli l’Espace Culturel de Vaison pour un récital truffé d’anecdotes et de commentaires sur l’œuvre et sur le bonhomme.
Les chanteurs ne meurent pas tant qu’on fait vivre leurs chansons, surtout avec talent ou simplement avec amour et souvent les deux. J’ai vu, entre autres, Michel Maestro et sa voix que l’on dit d’or, interprète parfois facétieux d’un florilège vaste et étonnant ou encore Corinne Tortora, pertinente et émouvante.
Natasha Bezriche, la voix bien aiguisée et le geste précis, très perfectionniste et très touchante, a fait vivre Barbara, Jacques Evrard a interprété Julos Beaucarne avec beaucoup de tendresse et de générosité, Édith Thénot et Jean-Marc Dermesropian ont présenté, dit et chanté Aragon accompagnés par le talentueux Jean-Sébastien Bressy au piano. J’en oublie évidemment et je n’ai pas tout vu.
Bien sûr il y avait les têtes d’affiche.
Francis Lalanne, programmé bien avant ses sulfureuses interventions dans l’actualité était attendu au coin du bois. Tant pis pour les brûleurs de loups, les chasseurs de sorcières et autres meutes aux abois, il a présenté un récital conforme à ce que ses fans attendent, tour à tour tendre et excessif mais sans dérapage.
Ceux qui venaient pour le Kilimandjaro ont découvert ou retrouvé quelques belles chansons de Pascal Danel, certains fort réjouis, d’autres restés sur leur faim. En revanche, Yves Duteil, dans un parcours sans surprise a fait l’unanimité. Peut-être même aujourd’hui, dans ce monde de plus en plus agressif, découvre-t-on avec bonheur sa paisible gentillesse qui pouvait agacer naguère.
Grands ou petits, connus ou non, il n’en reste pas moins que, comme dans tout festival, quelques points forts se sont distingués qui marqueront cette vingt-cinquième édition.
La découverte, pour moi, vient de Belgique : Bernard Degavre, entouré d’Ariane De Bièvre, de Patrick De Schuyter, anciens musiciens de Julos Beaucarne et du bassiste Barry McNeese. Un jeu de guitare tonique, une voix soyeuse, un regard souriant qui lui donne l’air de rêver mais surtout une énergie inattendue, révélant tant dans les rythmes brésiliens que dans les ballades de Moustaki un punch nouveau, une vigueur qui restait tapie, peut-être assoupie, dans les prestations de leur auteur.
Je n’ai pas vu Pascal Mary cette fois, mais je le connais bien et j’en ai tellement entendu parler pendant de festival que je ne peux que confirmer l’enthousiasme du public qui découvrait son talent exceptionnel. Il a séduit les festivaliers dans un registre où la réussite est sans cesse à conquérir, où se conjuguent la dérision féroce et provocante et même l’autodérision dévastatrice, l’humour noir, parfois pourpre et surtout une immense tendresse décalée. Libéré de son piano il a pu donner libre-court à son expression gestuelle. Beaucoup disent que c’était le meilleur spectacle de ce festival. J’en suis convaincu avec une nuance : je ne mets jamais « meilleur » au singulier. Les moules marinières ne sont pas meilleures que la mousse au chocolat et réciproquement.
Un autre artiste a en effet marqué cette saison vaisonnaise : Rémo Gary, accompagné par l’excellente Nathalie Fortin a fait jaillir les chansons de Jacques Debronckart avec une puissance émotionnelle rare. Rémo Gary chante chaque mot comme si sa vie en dépendait. Qu’il regarde les étoiles ou qu’il tende les bras vers un public universel, il nous ouvre l’espace et nous fait respirer la colère et l’amour, le drame et l’humour, mettant son cœur à nu et sa pensée en phase avec nos attentes les plus déraisonnables.
Voilà les feuilles sans sève qui tombent sur le gazon… La bulle de bonheur s’est évanouie ; les masques dont on oubliait la gêne reprennent leur matérialité ; la réalité ne fera pourtant pas oublier ces oasis essentiels que les artistes cultivent pour nous.
Les sites de Bernard Degavre, de Pascal Mary et de Rémo Gary ; et, là, la page facebook du festival.
Bernard Degrave « Rien n’a changé » :
Pas de vidéo de Rémo Gary chantant Debronckart et c’est dommage. Alors on se console avec un titre de lui… « Des coups d’pied au cœur » :
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