Brassens s’entend : disques à tous les étages !
En ces temps mémoriels où on commémore à tout va, la concurrence est rude : les 100 ans du père Brassens écrasent sans mal ceux de Montand, né neuf jours avant le natif de Cette : si l’acteur tient la corde à force de rediffusions, le chanteur de Battling Joe vise moins l’éternité.
Donc, à une semaine d’intervalle, nous célébrerons tant les cent ans de la naissance que les quarante du décès du chanteur à la pipe. Diantre, l’occasion est belle, et pour tout dire unique, aux éditeurs de livres et de disques de garnir l’étal de nos commerces. Nous reviendrons d’ici à quelques jours sur celui des librairies ; aujourd’hui, parlons disques (attention ce long article ne se prétend pas pour autant exhaustif).
On dit qu’il y a encore peu, Universal n’avait pas la moindre idée que ce qu’il pourrait mettre en rayons pour célébrer l’illustre Sétois. Apparemment des idées lui sont venues. Par des compiles certes, mais notamment et surtout par ce coffret de douze vinyles illustrés par Robert Combas : « Qui mieux qu’un artiste sétois à l’imaginaire méridional débridé pouvait illustrer l’intégrale Georges Brassens en cette année de centième anniversaire ? Qui mieux que le peintre français le plus populaire pour revisiter un géant de la chanson française ? » Il y a donc cet objet collector pour amateurs d’art et riches collectionneurs (trois couleurs de coffret, au choix, pour 445 euros pièce : quand on aime, on ne compte pas). Et, pour les économiquement faibles, la réédition de l’intégrale si toutefois vous ne l’avez pas encore.
A mon sens, l’arme fatale d’Universal est ailleurs, qui réside en un CD de toute beauté. Si vous aimez Yolande Moreau, si vous aimez François Morel, si vous avez la nostalgie des Deschiens, si vous aimez Brassens il va sans dire, alors précipitez-vous sur cet absolu bijou, bien supérieur aux joyaux de la Couronne : ça s’appelle Brassens dans le texte, c’est du dit, presque du pas chanté. Ces deux-là ne déclament pas Brassens, ils ne parlent pas pointu, n’ont pas l’addiction à la diction des riches : eux causent le Brassens comme vous et moi, dans la simplicité autant que dans la crudité de certains mots, la poésie d’autres. Tout ici est pur délice, avec cette pépite plus grosse encore qu’est Hécatombe, où le flic Morel reçoit la déclaration de Moreau qui lui décrit les événements sur ce marché de Brive-la-Gaillarde. C’est tellement bon que ce titre-là, vous vous le repassez vingt fois d’affilée. Et vous relirez autant de fois le texte de Morel, « Quand Universal m’a appelé », un autre plaisir. Signalons enfin que l’accompagnement musical est assuré par le fidèle Antoine Sahler qui fait tout, joue de tout, du Wurlitzer au mellotron, du toy piano au bugle. Extra, vous dis-je !
Notons aussi qu’Universal a réédité, cette fois en un seul et unique coffret, le fameux « Cahier » Le Forestier chante Brassens : 171 chansons captées en public, un chef d’œuvre d’interprétation à ce jour inégalé, une pièce prépondérante dans la discothèque perso de tout amateur de Brassens qui se respecte. Maxime Le Forestier, par cet enregistrement, se plaisait à dire qu’il se voulait être le Glenn Gould de Brassens : d’autres chansons dénichées depuis ruinent un petit peu cet argumentaire mais pas la qualité de ce travail (rappelons qu’un autre artiste, Alain Brisemontier, s’est livré de son côté, à une tâche similaire, par une intégrale de 146 chansons en huit CD). Lire l’article de NosEnchanteurs ici.
« GEORGES BRASSENS. ELLE EST A TOI CETTE CHANSON… »
Trois excellentes idées et une mauvaise en ce coffret de quatre disques sorti chez les Productions Jacques Canetti.
Un CD retraçant les « années Trois Baudets » de Brassens, avec majoritairement Brassens mais aussi Patachou, Jean-Pierre Suc, Mouloudji, Les Cinq pères, Barbara, Juliette Gréco et Catherine Sauvage. Dans les vingt-neuf plages de ce disque, quelques documents introuvables voire carrément inédits (notamment Brassens dans une interprétation du Déserteur de Boris Vian ! Et un dialogue fort intéressant dans lequel il tresse des louanges à Jacques Canetti…). Bravo.
Un CD consacré aux artistes de ses premières parties, l’idée est bienvenue. Pierre Louki, Yves Simon, Joel Favreau, Boby Lapointe, Brigitte Fontaine, Maxime Le Forestier, Mireille, Pia Colombo, Jacques Yvart, Christine Sèvres et quelques autres du même tonneau ; ça nous fait de joyeuses retrouvailles. Bravo.
Un CD fait d’inédits discographiques de Pierre Arditi, d’entretiens de Brassens, Fallet et Jean Serge, et de versions instrumentales avec Joel Favreau à la guitare. Bravo.
Mais pourquoi diantre ce CD Brassens et ses grands interprètes ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’un « grand interprète » ? Qui décerne ce titre, sur quels critères ? Apparemment ce ne sont que des artistes ayant pignon sur gros labels, un nom qui sonne au grand public, bien dans l’establissement culturel. En quoi, par exemple, Carla Bruni est-elle grande interprète, dites-le moi ? Georges Brassens est l’artiste français le plus repris, le plus souvent sur des albums lui étant entièrement consacrés (il y en a des centaines, le savez-vous ?). C’est dire s’il y a l’embarras du choix. Hélas, là, nous ne trouvons qu’une liste convenue, qu’on a l’impression d’avoir entendu mille fois. Dommage, mille fois dommage.
« INTÉGRALE GEORGES BRASSENS ET SES INTERPRÊTES 1952-1962 »
Le coffret de six CD de Frémeaux & associés nous restitue Brassens de 1952 à 1962, à savoir ses neuf premiers albums tout de même. Mais là n’est pas son intérêt principal, surtout si vous avez déjà l’intégrale du natif de Cette. Le quatrième CD nous offre tant un enregistrement public au cabaret La Villa d’Este (neuf titres) qu’un entretien de Brassens avec Luc Bérimont. Les deux derniers CD recensent les interprètes de Brassens sur la période donnée : Patachou, bien sûr, Catherine Sauvage, Juliette Gréco, Lucienne Vernay, Michèle Arnaud, Suzy Solidor, Marie-Hélène, Barbara, Nicole Louvier (beaucoup de dames pour un artiste que d’aucuns tiennent pour misogyne…) et aussi Marc et Odile, Marc Ogeret, Claude Parent, Léo Noël, Christian Mery, Les Cinq Pères, Les Quat jeudi et l’Ensemble vocal Scherzo. Bien des trésors pour les amateurs.
LES COPINES D’ABORD
Les copines de cet album sont Nina Louise, Erza Muqoli, Clio, Nach, Janie, Anne Sila, Philippine, Corine, Clou et Vanille, qui (sic) « relèvent le délicat défi de moderniser sans abîmer les plus beaux titres de Georges Brassens, dans un album hommage d’autant plus intéressant qu’elles ont chacune des univers différents et assez éloignés de la chanson populaire ». C’est bien fait mais c’est plat. C’est appliqué, certes, mais pas souvent impliqué. C’est en fait sans réel intérêt. Quant à la prétention de « moderniser Brassens » (ça doit être l’argument pondu par un stupide directeur commercial qui n’entend rien à la chanson), ça ruine d’emblée le projet, le discrédite. Ceci dit, qu’on ne me dise pas que Brassens ne se conjugue pas au féminin : que je sache, Valérie Ambroise, Patachou, Contrebrassens (voir ci-dessous), Christina Rosmini (le fameux Tio Brassens) ou Mardjane Chémirani, elles et d’autres, ont fait la preuve que c’est possible, que c’est probant, que ça peut être enthousiasmant.
L’AUVERGNAT CHANTE BRASSENS
C’est un disque non de major ni de télé-crochet mais de la nouvelle scène issue du terroir auvergnat, fédérée par la Coopérative de Mai (scène de musiques actuelles à Clermont-Ferrand), une « aventure clermontoise et collective, née d’une toute petite idée, un peu rock’n'roll quand même : oser une relecture très libre et souvent inattendue de quelques grandes chansons de Brassens, en compagnie de neuf artistes (The Doug [avec une proximité confondante d'avec Bashung, voir vidéo ci-dessous], Les mamans du Congo & Rrobin, Comme John (avec Albin de la Simone), Mustang, Pain-noir & Balzane, Iraka, Foxhole, Belfour, Sourdure) issus d’une jeune scène auvergnate sevrée de concerts depuis des mois » : « Qu’ils viennent du rock, du folk, de la chanson, des musiques trad’, urbaines ou électroniques, ces artistes sont ainsi rassemblés par ce patrimoine commun. Patrimoine où, soit dit en passant, l’on apprend à manier avec la même virtuosité l’argot, la belle langue, l’imparfait du subjonctif et une partition musicale d’une rare complexité ». Nous reviendrons sans doute plus largement sur cet album aussi incongru que franchement réjouissant. Il s’agit chaque fois d’une négociation, toujours réussie, entre une œuvre du chanteur à la pipe et l’art et la personnalité de jeunes musiciens. Loin de la stupide prétention des Copines d’abord de « moderniser » Brassens (cf ci-dessus), ces « apparentements » terribles attestent de la modernité intacte des chansons de Brassens, de son insolence salutaire, de sa liberté. Entre nous, quand on écoute cette bande, on peut bander de plaisir.
YVES UZUREAU et CONTREBRASSENS
Ce survol ne peut être satisfaisant sans rappeler deux disques épatants sortis cette année. D’abord l’indispensable Georges Brassens – Premières chansons (1942-1949) où Yves Uzureau interprète quinze chansons retrouvées et inédites (la plupart nées au camp de Basdorf alors que son auteur faisait son Service de travail obligatoire) : un bijou pour qui veut tout Brassens, qui plus est avec une exemplaire qualité d’interprétation. Certains de ces textes, déposés depuis toujours à la Sacem, retrouvent aujourd’hui leur musique d’origine : les deux parties sont enfin recollées et nous sont ainsi offertes. Des chansons de jeunesse ? Sauf que Brassens était alors dans sa vingt-troisième année. Des chansons peut-être plus faibles que celles qui suivront et le feront connaître, certes, mais qui annoncent cette suite. Au demeurant, je dois avouer que quand j’écoute À l’auberge du bon Dieu, je n’y vois pas beaucoup de faiblesse quant à l’écriture. Yves Uzureau chante Brassens depuis bien quatre décennies, non comme on se prosterne devant une statue, mais comme on fait vivre une œuvre avec intelligence et facétie. Chez EPM. Lire la critique de NosEnchanteurs ici.
L’autre est le nouvel album de Contrebrassens, Pensées interlopes…, largement au-dessus du lot, mémorable chef d’œuvre qui, de fait, s’inscrit dans la mémoire vive de Brassens. « Avec humour et légèreté, tendresse et malice, nous avons choisi de célébrer Georges Brassens en rassemblant douze chansons autour d’un thème qui lui était cher : celui de l’adultère. Je me suis interrogée… Qui sont ces femmes sauvages, libres, chameaux ou jolies fleurs ? Qui sont ces Rombières de qualité, ces succubes, ces Pénélope ? Qu’y a-t-il en nous de tout cela ? J’aime l’idée que ce disque vienne susurrer des idées coquines aux oreilles de celles et ceux qui l’écoutent ! » Lire la critique de NosEnchanteurs ici.
GEORGES BRASSENS, LA POÉSIE EN BANDOULIERE
Saluons cette édition de l’INA, coffret regroupant deux DVD (et un CD), parcours thématique composé d’interprétations de 1952 à 1981, en images, suivi d’une émission de Jean-Christophe Averty, inédite en DVD : « Avec la complicité du chanteur, Jean-Christophe Averty, réalisateur star de la télévision des années 60-70, nous offre sa vision du monde de Brassens, tout en effets spéciaux numériques. Un inédit réjouissant et un brin décalé ! ». Quant au CD, il s’agit de la Radioscopie de Georges Brassens, par Jacques Chancel, en 1971 (44 minutes).
ET ENCORE… LES SUITES DE BRASSENS par RIVE GAUCHE
Le groupe Rive-Gauche se permet ce disque, son septième, qui se veut être la suite de quelques chansons de Brassens (La réputation mauvaise, Gorillerie, La guerre du Covid 19, Le non orage…). Publiée sur les réseaux sociaux il y a quelques semaines, l’annonce a fait bondir une poignée de puristes, un peu comme ces cathos qui jadis brûlèrent des salles de cinéma qui projetaient La dernière tentation du Christ, sans avoir vu le film il va de foi. Ah, ces curetons de la chanson ! Il y a quelques années, non par un disque mais par un livre, notre estimé confrère Michel Trihoreau avait, en de courts chapitres, donné vie et suite à certains des personnages de Brassens. Là, c’est pareil. On devra juger ce disque à son écoute, pas sur de stupides préjugés. L’apprécier ou non, sur pièce, sur ses qualités propres, mais pas par rapport à Brassens, ce qui serait perdu d’avance.
Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Brassens (et nous en avons dit beaucoup !), c’est ici.
François Morel et Yolande Moreau « Fernande » :
The Doug (L’Auvergnat chante Brassens) « La mauvaise réputation » :
Yves Uzureau « Le ciel en avait assez » :
Maxime Le Forestier « L’orphelin » :
Bravo, bien bel article et qui me semble exhaustif en ce qui concerne les parutions diverses en ce centenaire. Hormis des artistes récents et qui ne comptent que 3-4 albums, Brassens est le seul chanteur francophone, le « monument », dont je détienne l’intégrale. Je me suis amusé en parralèle à compiler environ 500 reprises et/ou adaptations (parfois dans des langues très exotiques et des styles fort variés!), mais d’après mes renseignements et recoupements, il y en aurait près de dix fois plus! À toujours avec lui,
Éric A.
Et on peut rendre hommage à Brassens autrement qu’avec des reprises ! La preuve avec l’album de Rive gauche « les suites de Brassens » qui sort dans quelques jours ! aucune reprise ici…. que de l’original et joué « a la manière de » !!! 3 extraits en attendant ! « LE NON ORAGE » :
https://www.youtube.com/watch?v=Dv_rmUZgkBs
« ARCHIBALD » :
https://www.youtube.com/watch?v=QukFV4qtY-U
« HISTOIRE D’UNE FAUSSAIRE » :
https://www.youtube.com/watch?v=nHJOPOglXtc